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MÉMOIRES ET AVENTURES D’UN HOMME DE QUALITÉ QUI S’EST RETIRÉ DU MONDE, 8 vol. in-12, 1732-33. L’Histoire du chevalier Desgrieux et de Manon Lescaut, formant le 8e volume, a été imprimée séparément sous ce titre un grand nombre de fois. — Ce livre est le premier ouvrage de l’abbé Prévost, et c’est aussi celui où il a le plus prodigué les aventures, où il a fait le plus fréquent usage des incidents. Il est certain qu’à la faveur du titre de Mémoires il pouvait agglomérer dans ce seul roman tout ce que lui fournissait son imagination ; cependant il est des bornes à tout. Jeune encore, et dominé par cette imagination vive et féconde, l’abbé Prévost ne s’est souvenu en aucune manière de l’unité, car, non-seulement son ouvrage est composé de parties bien distinctes et absolument indépendantes les unes des autres, mais même dans chacune des différentes parties il ne s’est point donné la peine de suivre une marche uniforme et régulière. Dans la première partie de ces mémoires, qui concerne l’homme de qualité, il raconte non-seulement ses aventures, mais encore celles de sa fille, de son père et de son grand-père, de sorte que dans un seul volume, on trouve l’histoire de quatre générations entières : ajoutez à cela, qu’il faut encore entendre celles de tous ceux que l’auteur rencontre sur son chemin. Toutes ces aventures sont non-seulement amenées quelquefois d’une manière brusque et inattendue, mais encore elles sont trop souvent invraisemblables ; on croirait lire un conte des Mille et une Nuits, lorsqu’on arrive à l’histoire de sa captivité en Turquie et de ses amours avec la fille de son patron. L’histoire de cette demoiselle que ses frères condamnent à mort, et qui lui laissent un quart d’heure pour recommander son âme à Dieu, n’est-elle pas calquée sur celle de Barbe-Bleue ? — Dans les dernières parties, l’homme de qualité n’est plus qu’un personnage secondaire ; le principal héros est le jeune marquis de ***, dont il a été chargé de diriger l’éducation, et à qui il doit servir de mentor en lui faisant visiter les différentes cours de l’Europe. Cette histoire du marquis est fort intéressante en plusieurs endroits, mais malheureusement elle est encore interrompue par une multitude d’aventures arrivées à des personnages étrangers, et cette manie d’entasser événements sur événements est si forte chez l’homme de qualité, qu’après avoir dit qu’il va enfin raconter sans interruption l’histoire du marquis, il se laisse encore emporter à huit ou dix longues digressions. L’histoire du marquis même n’est pas finie, et l’on ne sait ce qu’il devient, non plus que sa maîtresse, qui va s’ensevelir dans un couvent, et dont il n’est plus question.

Ce qui donne un grand degré d’intérêt aux mémoires dont il est ici question, c’est l’époque choisie par l’abbé Prévost. L’homme