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cun obstacle. Époux, ils voient s’élever autour d’eux une petite colonie d’enfants dont ils font le bonheur. Après un siècle entier de cette heureuse existence, ils meurent comme ils étaient nés, le même jour : une même tombe les reçoit, et les regrets de toute la contrée les accompagnent. Il n’y a, dans ces aventures, rien qui flétrisse le cœur, qui attriste l’imagination : c’est le tableau d’une vie pure ; c’est celui de la vie pastorale, non telle qu’elle est, mais telle qu’il serait à désirer qu’elle fût.

LETTRES D’UN CHARTREUX, in-18, 1820. — Ce roman offre, dans une vingtaine de pages, le tableau déchirant des ravages que fait, dans le cœur d’un être isolé de la société entière, cette passion de l’amour que pourtant Dieu donna aux hommes pour les dédommager du malheur d’exister. Cette passion n’a pour le solitaire ni charmes, ni délices ; c’est un poison lent qui coule dans ses veines, trouble son cerveau, le remplit d’images fantastiques. Sans avoir commis de crime, le solitaire amoureux sent tous les tourments du remords. Dans le récit de cette anecdote, qui n’a rien que de très-vraisemblable, M. Pougens démontre combien se trompent les âmes faibles, qui, pour se soustraire à une passion que dans l’aveuglement d’une dévotion excessive elles nomment criminelle, s’enferment dans la solitude des cloîtres, se vouent à toutes les privations, croient acheter le ciel en renonçant aux plaisirs de la terre. L’ennemi qu’elles fuyaient, elles le trouvent au fond de leur cellule, plus puissant, plus formidable, entouré de fantômes effrayants. Le jeune Anatole n’a jamais connu qu’un amour ; une seule fois, il entrevoit une femme dans les jardins de son couvent : elle n’a jeté qu’un regard sur lui, ne lui a dit que ces deux mots : Pauvre infortuné ! et voilà son esprit qui s’égare, qui se remplit de chimères. Il aime, il adore celle qu’il ne verra jamais, et qui même ignorera toujours qu’elle est aimée ; il lui écrit des lettres brûlantes qu’elle ne lira point : dévoré par une passion qui jamais ne sera satisfaite, qui même n’est pas soulagée, calmée par l’espérance, il sent son corps de dessécher, s’affaiblir, à mesure que sa raison s’altère ; il ne trouvera de repos que dans la tombe.

ABEL, ou les Trois pères, in-12, 1820. — Élevé avec la plus grande rigueur par un père très-dévot, Abel, à dix-huit ans, a déjà commis deux fautes graves ; il s’est laissé séduire par la gouvernante d’un curé, et a séduit à son tour une jeune fille. Pour ces deux fredaines, on le renferme pour quelque temps à Saint-Lazare, et il perd un emploi subalterne qui le faisait exister. Il sort de sa retraite moins bon qu’il n’y était entré, mais pas encore coupable ; il va le devenir. Manette, la malheureuse victime de sa passion, a été rejetée de sa famille, s’est réfugiée dans un galetas où elle a mis au monde une fille. C’est là qu’Abel la retrouve, au