Page:Revue des Romans (1839).djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le payait de ses sacrifices. Mais, pour l’honneur de la nature humaine, en regard de deux filles perfides et barbares, Gonaril et Regane, Shakspeare avait placé Cordelia, fille pieuse et dévouée. Pour l’honneur de la paternité, autant le poëte lui avait donné de tendresse pour les enfants qui devaient la trahir, autant, la trahison consommée, il l’avait embrasée de fureur contre ces indignes objets d’une passion non moins vive que malheureuse. M. Balzac, au contraire, n’a rien accordé à l’honneur de la nature humaine, rien à l’honneur de la paternité. Le père Goriot n’a point d’Antigone qui le console, point de colère qui le venge. Loin de se désenchanter de ses odieuses filles, son idolâtrie augmente avec les souffrances qu’elles lui causent. Après s’être laissé piller, dévorer, épuiser d’or et de sang par elles, il expire sur le plus triste des grabats, sans cesser de les adorer, de les appeler ses anges, de les bénir dans les convulsions de son agonie. Malheureusement encore, parmi les personnages dont l’auteur a environné son héros, il n’y en pas qui repose la vue. Hormis la jeune et pure Victorine Taillefer, dont la physionomie n’est que vaguement indiquée ; hormis l’étudiant en médecine Bianchon, dont les traits se dessinent un peu mieux, quel monde ! quel société ! Des maris qui trompent leurs femmes et se ruinent pour des maîtresses ; des femmes qui trompent leurs maris ; dont l’une engage ses bijoux pour un amant dissipateur et volage, dont l’autre se vend tantôt pour de l’argent, tantôt pour la gloriole d’une invitation à un bal aristocratique ; un jeune homme renonçant au travail pour l’intrigue, se dégoûtant systématiquement de l’étude, et posant le pied sur l’échelle des femmes ; un forçat prêchant, dogmatisant, prouvant, avec la logique du bagne, qu’il n’y a ici bas ni principes, ni lois, mais seulement des événements et des circonstances, que le secret des grandes fortunes, sans cause apparente, est un crime oublié parce qu’il a été adroitement commis ; et sur le second plan, à quelques pas en arrière, une collection grotesque de niais, d’égoïstes, une petite exhibition de la Béotie parisienne. Oh ! comme en fermant le livre où se font, se disent et se voient tant de choses affligeantes, on a du plaisir à se serrer près d’un foyer domestique autour duquel siégent quelques bonnes vertus, à regarder autour de soi et à retrouver quelques amitiés généreuses et sincères, quelques dévouements éprouvés ! c’est que dans ce livre tous les sentiments sont cruellement blessés, flétris ; c’est que toutes les conclusions en sont désespérantes.

LA FLEUR-DES-POIS, in-8, 1835. — La Fleur-des-Pois, c’est la comédie du Contrat de mariage. Le jeune comte Paul de Manerville, héritier d’une fortune considérable, dont en six ans il a mangé la moitié, a été surnommé la Fleur-des-Pois par une vieille mar-