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On parlait politique, et le patriotisme des convives s’accrut au point que le général protesta qu’il apprendrait avec moins de chagrin la mort de son fils que celle d’une défaite. On applaudit à ce trait de vertu antique ; mais avant que les éloges eussent fait le tour de la table, un sentiment qui ressemblait beaucoup au remords troubla le cœur paternel du vieillard. Ce fut bien pis lorsqu’un courrier envoyé de Londres vint annoncer qu’il y avait eu une affaire générale ; que la victoire était restée aux Anglais, et qu’on se préparait à illuminer la ville. La salle retentit d’acclamations ; mais le général essaya vainement d’y joindre les siennes. À l’issue du dîner, il partit pour Londres ; en route, on n’allait jamais assez vite, il ne cessait de crier qu’on pressât les chevaux ; enfin, Londres, resplendissant d’illuminations, parut à ses yeux. « John, à l’amirauté ! — À l’amirauté, monsieur, la foule est trop grande. — C’est vrai. Eh bien ! je veux descendre ici. » John ouvre la portière, son maître se fait jour à travers la foule, et apercevant un café, il y entre et demande un journal : Le nom du capitaine Shirley était le premier sur la fatale liste ! Le papier tombe de la main de ce père infortuné, ses lèvres pâles ne peuvent professer que ces mots : « Dieu soit loué, mon fils a fait son devoir. » Il sort du café ; les illuminations qui brillaient de toute part, la foule qui remplissait les rues, et les cris de joie qui venaient frapper son oreille, contrastaient d’une manière bien cruelle avec sa situation. Mais sa douleur était si profonde, qu’il remarquait à peine ce qui l’entourait. Il fut tiré malgré lui de son accablement par un groupe de jeunes gens, qui exigèrent de lui qu’il jetât son chapeau en l’air en signe de joie ; il fit un effort désespéré sur lui-même à fin de les satisfaire ; mais lorsqu’ils voulurent le contraindre à chanter le Rule Britania, chant national des Anglais, il ne put retenir son indignation, et les repoussa avec colère ; la populace allait lui faire un mauvais parti, lorsqu’une voix sortie de la foule s’écria : « Laissez-le passer, c’est le pauvre général Shirley. » Ces mots changèrent tout à coup les dispositions du peuple : on s’écarta avec respect, et le général poursuivit sa route. Arrivé chez lui, sa faiblesse était telle qu’il serait tombé avant qu’on eût ouvert la porte, si une jeune fille, que son nom avait frappé, et qui s’était attachée à ses pas, ne l’eût soutenu. Elle entra avec lui ; l’ayant vu plus calme, elle se disposait à se retirer, quand les yeux du général se fixèrent sur elle ; ses traits le frappèrent, non sans raison, car la jeune étrangère était précisément la fille du capitaine Shirley. Le général reconnut la jeune Catherine pour son héritière, et l’établit dans sa maison. La beauté était le moindre mérité de cette jeune personne, qui avait été élevée par une mère douée de toutes les vertus ; en peu de temps, elle inspira une vive