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les lui fait mettre soigneusement dans de l’arow-root ; là, un membre futur de la chambre haute qui se prépare aux luttes de la tribune par le spectacle des combats de coqs et des courses de chevaux. Et lorsque tous ces hommes, dont tout le mérite consiste à savoir tuer le temps, ont bien battu les allées poudreuses du parc Saint-James ou du jardin zoologique, lorsqu’ils sont fatigués des ballets du théâtre du roi et du tumulte des raouts, ils prennent leur vol vers le continent, s’abattent sur Ostende, d’où ils se dispersent sur les grandes routes ; et après deux ou trois mois d’excursions sans but et sans plaisir, ils finissent par se retrouver aux bains de Spa ou de Baden, qui doivent leur vogue moins à la vertu de leurs eaux qu’à leurs maisons de jeu. — Dans cette galerie de portraits, tracés par le crayon de lady Morgan, il n’est qu’un seul personnage dont le caractère soit plus honorable et l’intelligence moins pervertie par les préjugés héréditaires. Sir Frédéric Mottram n’est point un tory pur sang ; il n’appartient à l’aristocratie que par alliance ; c’est un de ces chefs de parti désignés sous le nom de conservateur, dont le sophisme et l’intérêt sont parvenus à fausser la nature honnête, mais qui ne peut pas toujours se défendre d’une aspiration secrète vers les grands principes de justice et d’humanité. S’il passe à Newgate, devant la potence qu’un code draconien a pu seul faire dresser pour y suspendre un homme qui a volé une bourse, ce législateur qui a consacré par son vote ce meurtre légal, se cache au fond de sa voiture saisi d’horreur ! Mais ce retour au bien est stérile et passager ; dès qu’il n’est plus saisi par les images, dès que les réalités vivantes cessent de passer devant lui, il retombe dans ses habitudes d’égoïsme et d’insensibilité : libéral à Bruxelles, il redevient tory à Londres. Cette absence funeste de principes, nous la retrouvons dans la vie de sir Frédéric. À l’âge où l’esprit n’a point encore tué le cœur, il a ressenti une passion violente pour une jeune fille que sa mère a recueillie dans son château, et qui partage quelque temps avec un bichon les faveurs de sa maîtresse. Eh bien ! cette jeune fille qu’il aime et qu’il regrettera toute sa vie, il la sacrifie lâchement à l’orgueil de sa famille, et la laisse chasser comme une servante. Pour anoblir le sang plébéien qui coule dans ses veines, il va chercher dans les rangs de l’aristocratie une beauté fade et langoureuse qui ne s’échauffera que pour l’adultère. Cette noble dame, pour ne pas déroger, admet les services d’un jeune attaché d’ambassade, son filleul. Sir Mottram n’aurait qu’un mort à dire pour éloigner l’apprenti diplomate, et ce mot, il ne le dit pas. Il préfère abandonner sa femme à sa vie dissipée et aux petits soins de son filleul, et s’en aller, en véritable gentleman qu’il est, faire un tour sur le continent. — Lady Mor-