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rage, par ses dettes et ses désordres, jusqu’au cœur paternel, et ce père qu’il aimait, dont il faisait la gloire, il ne le voit plus qu’à son lit de mort, pour en recevoir un déchirant pardon. Il devient amoureux de miss Linley, qui bientôt partage sa passion et l’épouse secrètement ; mais pour l’entrevoir quelquefois, il lui faut employer mille ruses, et souvent se cacher sous les vêtements d’un cocher de fiacre pour parvenir à serrer la main qui lui appartenait. — Dans son caractère, même contradiction ; c’est un mélange perpétuel de paresse et d’activité, d’ardeur et d’insouciance. Insulté par un rival, il se bat avec tout le courage de l’amour et de la vengeance. Un récit inexact de ce duel circule dans le public ; Schéridan lui-même le fait imprimer dans un journal afin d’y répondre ; mais cette réponse l’ennuie, il y renonce, et trahit son honneur qu’il venait de défendre au prix de son sang. Il se charge de soutenir l’accusation contre le marquis d’Hastings ; soit indignation profonde contre celui qu’on appelait le Verrès de l’Inde, soit qu’il y trouvât une riche matière d’éloquence, jamais en effet la sienne ne parut plus redoutable ; elle arracha des cris d’enthousiasme à ses amis, à ses adversaires, aux partisans même d’Hastings ; mais par une inadvertance impardonnable, il oublia d’apporter le sac des pièces de conviction, détruisant ainsi par sa négligence l’ouvrage de son génie, et ne donnant plus à la vérité que l’apparence d’une sublime déclamation. Enfin, en Angleterre, ce pays de luxe et de dépenses, le luxe, les dépenses, les plaisirs de sa maison furent longtemps cités, et il achève ses jours dans les horreurs de la misère. Un huissier, la veille même de sa mort, vint le soulever sur son lit de douleur, et veut le traîner en prison. Les menaces et les prières de l’amitié épargnent seules à Schéridan et à l’Angleterre ce dernier opprobe. Il meurt, et le pays jette un cri de regret et d’admiration ; il meurt, et derrière le cercueil qui le porte à Westminster, marchent les ducs d’York, le duc de Sussex, le duc de Bedford, lord Holland, Caning, l’évêque de Londres, tout ce que l’Angleterre compte de plus noble et de plus distingué. — Comment cet homme, qui fut à la fois le Molière et le Démosthène de son pays, tomba-t-il à un tel point de déconsidération et d’isolement, que les hustings de Stafford le rejetèrent, et que la misère accabla ses derniers jours ? Nous pensons qu’en voici la cause : Les opinions de Schéridan sur la révolution française avaient alarmé l’aristocratie anglaise, et quoique depuis il les ait modifiées, ou du moins expliquées, ce corps puissant se retira pour jamais de lui. Il avait survécu aux amis de sa jeunesse, Fox, Richarson, Tickell ; de ses anciens compagnons de débauche, il ne lui en restait plus qu’un ; mais qu’est-ce que l’amitié d’un roi, et surtout d’un roi qu’on n’amuse plus ? Vieilli dans une société