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Gengis-Khan, après avoir abdiqué la couronne en faveur de son fils, entreprit un pèlerinage à la Mecque. En passant à Delhi, il convint d’un mariage entre le prince son fils, et la plus jeune des filles de l’empereur, la belle princesse Lalla-Rookh. Il fut décidé que la cérémonie du mariage serait célébrée à Kachemire, où le jeune roi viendrait à la rencontre de sa charmante fiancée. Le jour fixé, Lalla-Rookh prit congé de son père, et partit escortée de jeunes filles d’honneur, choisies dans tout ce que la Tartarie et le pays de Kachemire avaient de plus charmant, envoyées au-devant d’elle par son futur époux. Pendant les premiers jours du voyage, Lalla-Rookh trouva dans les beautés pittoresques de la contrée de quoi intéresser ses yeux et récréer son esprit, mais elle était jeune, et la jeunesse aime la variété. La conversation de ses dames et de son chambellan, qui seuls étaient admis auprès d’elle, ne suffisait pas pour la distraire ; bref la princesse commençait à s’ennuyer. Par bonheur on se souvint que parmi les serviteurs envoyés par le roi de Bulgarie au-devant de son épouse, se trouvait un jeune et beau poëte de Kachemire, nommé Feramorz. Il fut admis près de la princesse ; son costume était simple et élégant ; après avoir salué respectueusement, il récite successivement quatre poëmes : le premier est intitulé le Prophète voilé du Khorassan ; le second, le Paradis et la Péri ; le troisième, les adorateurs du feu ; le quatrième, la Lumière du harem. Ces quatre poëmes sont interrompus, à la fin de chaque soirée, par la narration des sentiments qu’ils font éprouver à la princesse et à ses filles d’honneur. Cependant la belle Lalla-Rookh n’a pu voir ni écouter impunément le jeune Kachemirien, et, en prêtant l’oreille à sa douce voix, et en lisant dans ses yeux tout ce qu’il n’ose point lui dire, elle sent que les instants les plus délicieux de sa vie viennent de s’écouler. Comme on approchait du terme du voyage, Feramorz n’était plus admis devant la princesse, qui commençait à en ressentir un violent chagrin, et dont la beauté dépérissait à vue d’œil. Bientôt on n’est plus qu’à une journée de marche du but du voyage. Le lendemain la princesse doit être présentée au roi pour la première fois, dans un palais situé sur la rive opposée d’un lac voisin. Le jour indiqué pour la cérémonie arrive. Une barque se présente, et la princesse, de plus en plus triste, y monte après que ses femmes ont jeté sur elle le voile nuptial. Après être entrée dans le canal qui du lac conduit au palais, la princesse arrive dans un salon magnifique où le monarque attendait son arrivée : au bout de la salle brillaient deux trônes précieux ; l’un, sur lequel était Aliris, le jeune roi de Bucharie, et l’autre allait être occupé par la plus belle princesse du monde. Aussitôt que Lalla-Rookh entra dans le salon, le monarque descendit précipitamment de son trône pour courir à sa