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excès de prodigalité, qu’au bout de deux ans son père le fit interdire et confiner dans ses terres par ordre du roi. Ayant rompu son ban pour châtier un gentilhomme insolent qui avait insulté sa sœur, son père, peu jaloux de l’honneur de la famille, le fit enfermer au château d’If, d’où il fut transféré au fort de Joux, en 1776. Avec les moyens puissants de séduction qu’il tenait de la nature, une conversation pleine de charmes, un commerce facile et enjoué, Mirabeau fut bientôt dans les bonnes grâces du gouverneur, qui lui donna la ville de Pontarlier pour prison. Là, il fit connaissance d’une jeune et belle femme, Sophie de Ruffei, mariée fort jeune à un sexagénaire, le marquis de Monnier. Il l’enleva, et cette liaison attira sur sa tête de nouveaux orages ; la famille de Sophie, l’époux outragé, et son père, ce père qu’on retrouve toujours lorsqu’il s’agit de provoquer des mesures de rigueur contre son fils, se réunirent pour demander réparation de cette injure. Mirabeau se réfugia en Suisse, où son amante vint le rejoindre ; et d’où ils passèrent en Hollande. On instruisit son procès en son absence, et le parlement de Besançon le condamna à être décapité en effigie, comme coupable de rapt. L’évasion de Mme Monnier avait cependant été volontaire ; elle avait vingt-quatre ans ; elle était mariée depuis six, Mirabeau n’avait point été compagnon de sa fuite ; il n’y avait donc ni séduction, ni rapt. Il l’avait rejointe depuis, il est vrai, mais cela prouvait seulement qu’ils étaient amoureux l’un de l’autre ; il n’y avait dont d’autre crime que l’amour, très-excusable au moral, et nul devant les tribunaux. Le gouvernement français ayant demandé l’extradition des deux amants, Mirabeau fut enlevé d’Amsterdam avec sa compagne, qui paya sa faute par une longue détention dans une maison de surveillance. Tous ces faits sont constatés par des témoignages irrécusables, dans les lettres de Mirabeau, qui sont l’objet de cet article ; il est impossible d’en suspecter l’authenticité et la véracité. Par un hasard singulier, c’est entre les mains du pouvoir absolu que ces lettres étaient en dépôt ; et par un hasard non moins remarquable, c’était M. Lenoir, lieutenant de police, qui avait porté l’indulgence jusqu’à se rendre l’intermédiaire de la correspondance des deux amants emprisonnés.

Les lettres de Mirabeau ont un avantage précieux, celui de jeter le plus grand jour sur le caractère de cet homme fameux. Ce ne sont point ici des mémoires pour le public, ni même des confessions, où l’on peut toujours se montrer tel que l’on consent à être vu. Ces lettres, écrites d’un cachot à une maîtresse, et passant par les mains d’un juge, ne devaient jamais être vues par d’autres, et sans le hasard de la révolution, il est probable qu’elles n’eussent jamais vu le jour. Dans ces lettres, qui le ren-