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ment on fait ouvrir devant soi, et à deux battants, les portes des salons aristocratiques ; donne à son neveu de l’or, d’élégants habits, des chevaux anglais et une légère voiture ; lui met l’épée à la main, et l’instruit dans l’art si facile de la séduction ; lui donne en un mot tout le brillant vernis de la bonne société ; et la belle société, qui se fermait devant l’ingénuité pauvre et rustique de Prosper, accueille avec empressement le gracieux, l’opulent, le brave et noble Prosper, qui se fait appeler M. le chevalier de Chavigny. — Le voyageur du droit chemin se nomme Christophe ; c’est un humble frère ignorantin, pauvre et savant jeune homme, à qui les séductions de la science ont fait trahir son vœu d’ignorance, et à qui les lettres de Prosper Chavigny, saisies par ses supérieurs ecclésiastiques, ont fait perdre sa place. Se trouvant ainsi sans état et sans ressources, il prend le chemin de Paris, le droit chemin, c’est-à-dire, la grande route, à pied comme un honnête pèlerin. Un jour, pendant le voyage, il est renversé par le cheval d’un jeune chasseur, blessé dangereusement, et recueilli par une belle et noble demoiselle, nièce du duc de Chabrillant. La grâce naturelle et modeste de ce jeune homme, ses rares qualités, son instruction et son esprit, le font prendre en amitié par la puissante famille de Chabrillant ; il vient à Paris avec ses protecteurs, qui lui ouvrent la belle porte du monde, et le mettent sur le droit chemin de la fortune. Ce personnage de Christophe est, dans le livre de M. Jules Janin, un portrait achevé. Toute l’histoire de ce pauvre magister, jusqu’à son voyage à Paris, sa vie paisible dans son village, sa science qu’il cache avec tant de soin, sa pauvreté, qu’il porte d’un si grand cœur, son humilité qui couvre un si fier courage, sa probité souffrante et affamée, tout cela est touché avec une finesse, avec une verve, avec une tempérance de style, avec une richesse et une variété de coloris fort remarquables. M. Jules Janin, qui a beaucoup écrit, n’a rien créé de plus parfait que Christophe. — Dans le monde qui le reçoit avec distinction et respect, Christophe retrouve son ami Chavigny, brillant d’un luxe équivoque, et n’ayant ni considération, ni consistance, qui comprend au premier coup d’œil quelle distance il y a entre lui et Christophe, et quel pas immense celui-ci a fait sur la grande route, tandis que lui s’est épuisé en stériles efforts sur le chemin de traverse. Alors il tente un dernier effort, un coup décisif. Il s’adresse d’abord au jeu, et la fortune lui sourit ; puis il part pour l’Italie, et en ramène la plus belle jeune fille qu’il ait trouvée parmi les belles jeunes femmes de ce pays. Il la présente dans le monde comme sa femme, et le monde est bientôt aux pieds de la belle Lætitia ; le monde, pour l’amour de Lætitia, se dévoue à la fortune de Chavigny ; il veut être riche, et le monde lui enseigne