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venger la mort de son fils, il voudrait détruire le genre humain ; tantôt en moine, tantôt en paysan des montagnes, ici en chasseur, là en pèlerin, il échappe à toutes les poursuites. Les ruines de Farser comblées, et trois cents ouvriers ensevelis sous leurs décombres ; le rocher pendant de Goylin précipité durant la nuit sur le village qu’il dominait ; le pont de Haw-Broën, croulant du haut des rochers sous les pas des voyageurs, attestent la présence du monstre dans la Norwége. Il est plus féroce que l’ours blanc, auquel il abandonne les restes palpitants des victimes dont il a sucé le sang. Que de crimes ensevelis dans les lacs de Sparbo, dans les gorges de Dofréfield ! Au milieu de ces atrocités, le lecteur remarque d’énergiques peintures : les développements de l’histoire de Shumaker et de sa fille, le voyage d’Ordener avec le vieux gardien des morts de la tour maudite, le combat du premier avec le brigand dans la grotte de Walderhoy, et plusieurs autres épisodes, sont du plus grand intérêt ; mais il faut avoir du courage pour les aller chercher dans cette fange et dans ce sang.

BUG-JARGAL, 3 vol. in-12, 1826. — La première édition de cette nouvelle parut en 1819, dans le second volume du Conservateur littéraire ; remaniée et récrite presque en entier, elle fut publiée sous la forme d’un roman en 1826. Le premier récit a beaucoup de simplicité ; c’est une espèce de nouvelle racontée à un bivouac par le capitaine Delmar ; les commentaires plus ou moins heureux dont ses camarades entrecoupent son histoire, les interruptions du sergent Thadée, le rôle du chien boiteux Rask, tout cela a du naturel, de l’à-propos, de la proportion. En remaniant cette histoire, l’auteur conserva le cadre, mais le redora en mille manières, enrichit le paysage, compliqua les événements, introduisit l’amour, et créa la douce Marie ; mais à côté de cette beauté virginale et du bonheur vertueux, il grossit l’aspect haineux de la nature humaine. — Bug-Jargal est un nègre, fils d’un roi d’Afrique ; il a été transporté à Saint-Domingue à l’époque de la plus grande oppression des Noirs, c’est-à-dire, lorsque ceux-ci étaient sur le point de briser leurs fers. Bug-Jargal, environné du respect et de l’amour de ses compagnons d’esclavage, devait prendre nécessairement une grande part à la révolution dont le dernier résultat a été l’indépendance d’Haïti ; mais Léopold Dauverney, qui raconte cette histoire, et qui lui-même s’est trouvé le témoin involontaire de plusieurs scènes de cette grande tragédie, considère moins Bug-Jargal comme chef des Noirs que comme homme privé. On a reproché à l’auteur d’avoir faussé la nature en faisant de ce nègre un modèle de toutes les vertus et de toutes les perfections ; mais on n’a point réfléchi que Dauverney, à qui il avait trois ou quatre fois sauvé la vie, a fort bien pu le peindre en beau, sans