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que de la comédie, pour ce qui est de la peinture des passions ; moins attrayant par la combinaison des incidents que par le naturel du récit, mais non sans artifice toutefois dans le laisser-aller des digressions et du style ; simplicité bien rare aujourd’hui, où l’on est forcé de rappeler chaque jour aux auteurs ampoulés ou maniérés : « qu’il ne faut pas d’imagination pour s’abuser, pour mentir, pour être extraordinaire ; mais qu’il en faut beaucoup pour être naturel et vrai, même alors qu’on invente. » M. de Mortonval a médité ce axiome-là, nous en sommes sûrs. Aussi, en lisant son exposition, on croirait qu’il reproduit un extrait d’une cause célèbre ; ce n’est qu’après réflexion que l’on reconnaît un art exquis dans cette simplicité, qui enchaîne l’attention et la curiosité à tel point qu’on appartient corps et âme à l’auteur pendant tout le reste de l’ouvrage.

MON AMI NORBERT, in-8, 1834. — Mon ami Norbert est un personnage fortement empreint d’actualité ; son affaire à lui, c’est de faire fortune ; son but unique, c’est de parcourir l’échelle sociale, degré par degré : parti du plus bas, il arrive au plus haut, sans dévier, sans retomber jamais : en sa personne il résume tout l’industrialisme moderne. Un jour, trouvé sur la grande route, au milieu d’une troupe de mendiants, il sollicite la grâce de s’asseoir derrière une voiture jusqu’à la ville prochaine, et accepte sans rougir l’aumône d’un écu. Arrivé dans la ville, il commence par y manger du pain sec, buvant dans le creux de la main l’eau des fontaines, et dormant sous l’auvent des boutiques ; puis, entrevoyant le moyen de commencer un petit commerce, il emprunte un louis d’or et réalise des bénéfices immenses par rapport à son capital : il triple son emprunt, et ses bénéfices croissent en proportion. Bientôt il obtient chez un négociant une place modeste, dont la variété de ses talents et la justesse de son coup d’œil font une place importante. Bref, de station en station, Norbert finit par apercevoir son but ; alors il conçoit un coup décisif, périlleux, mais brillant ; il le tente, il réussit, et prouve qu’avec du bon sens, de l’activité et de la persévérance, on peut arriver à la fortune. Mais pour suivre l’exemple de Norbert, il faut subordonner toutes les passions à une seule idée, et combien peu d’hommes possèdent cette faculté. Voyez, autour de Norbert, seul, ferme, inébranlable comme le chêne, que de faibles roseaux le vent des passions agite et plie ! Autour de lui l’amour brûle et dévore, la jalousie égare, la calomnie flétrit ! Seul, réfugié dans l’idée de sa fortune à faire, il échappe aux douleurs dont tous les autres sont atteints, et tandis qu’il s’enrichit par son intelligence, un autre se ruine par ses folies : en face de l’édifice, si humble à son origine, qu’il bâtit de ses mains, un édifice éclatant, somptueux, s’é-