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GODWIN (Will.), célèbre romancier anglais.


LES AVENTURES DE CALEB WILLIAMS, ou les Choses comme elles sont, trad. par le comte Garnier, 2 vol. in-8, 1794, ou 3 vol. in-12, 1813. — La traduction du comte Garnier est la plus estimée. L’édition in-12, faite sur une édition de Londres, où l’auteur avait fait des additions et des corrections assez considérables, est préférable à celle de 1794. — C’est une doctrine généralement reconnue que l’amour doit faire le fond et l’intérêt des romans de Godwin, connu en Angleterre par la hardiesse et même la témérité de ses principes, les a déposés plus hardis peut-être encore et plus téméraires dans son roman ; il les a développés par l’organe de son héros, Caleb Williams, et a tâché de les rendre plus sensibles par la peinture des infortunes attachantes de ce personnage imaginaire, victime et martyr des lois de la société ; il a donc substitué à l’intérêt de l’amour, le plus puissant de tous, l’intérêt ordinairement assez froid d’une doctrine philosophique. Cette doctrine est mauvaise, antisociale ; et tel est cependant le talent que déploie l’auteur dans cette production, telle est la vigueur des conceptions, l’énergie des caractères, le coloris du peintre, le tableau animé des discussions, l’adresse, la candeur, et quelquefois l’éloquence des personnages divers, placés par leurs opinions, leurs systèmes, leurs caractères et leurs intérêts, dans un état continuel d’hostilité et de guerre, que peu de romans attachent plus le lecteur. En se privant de la ressource puissante de l’amour, Godwin a dû chercher une autre source d’intérêt, et l’a trouvée dans les autres sentiments du cœur, dans les autres passions de l’âme ; il les a soulevés en grand nombre, les uns nobles et généreux, les autres viles et basses, et les a mis en jeu avec beaucoup de force et d’énergie. Godwin se distingue surtout entre les meilleurs peintres de caractères et les plus profonds scrutateurs du cœur humain ; il n’est pas moins habile dans l’art d’imaginer des scènes attachantes, des faits pleins d’intérêt, de rendre cet intérêt progressif, de le soutenir par des contrastes ou des incidents tout à fait imprévus, et de tout disposer néanmoins pour que rien ne soit forcé, peu vraisemblable. — Trois personnages surtout, animés par des passions contraires, sont peints dans ce roman avec une vigueur et une franchise de pinceau peu communes : le héros lui-même, Caleb Williams, son persécuteur Falkland, et l’ennemi de celui-ci, Tyrrel ; leurs portraits sont tracés de main de maître, et leurs actions toujours conformes à l’idée que ces portraits donnent de leurs caractères. — Tout le premier volume est consacré à l’histoire de Falkland, et les événements dont il se compose sont, pour ainsi dire, l’avant-scène du roman.