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surnaturel, d’une beauté admirable, d’une force prodigieuse, d’un génie élevé, devinant ce qu’on n’a pu lui apprendre, et les procédés des arts et les règles auxquelles doivent se soumettre l’esprit et le talent. Placide, c’est le nom de ce prodige, objet de la prédilection de toutes les femmes et en butte à la jalousie des hommes, sort de sa vallée ; bientôt l’amour le civilise, et si l’on pouvait admettre que la plus belle, la plus noble et la plus riche des héritières de l’Espagne puisse se décider à donner sa main à un inconnu qui sort d’une vallée inconnue, on serait intéressé par cet amour. Il y a toutefois dans cet endroit du roman une cinquantaine de pages fort agréables, où la passion est peinte avec beaucoup d’âme et de chaleur, où des sentiments nobles et délicats sont exprimés avec grâce, où des situations attachantes sont imaginées avec assez d’art et de ressemblance. Ici l’auteur quitte l’Espagne et transporte son lecteur en France, à la suite d’Adolphe, qui revient dans sa patrie pour y apprendre que sa chère Calixte a péri sur l’échafaud. Adolphe revient chez les Battuécas ; il y rencontre Placide, qui se trouve là à point nommé pour arracher un enfant aux flammes, lequel enfant dénoue le roman de la manière la plus heureuse pour Placide et pour la belle Espagnole, mais la plus romanesque pour les lecteurs.

JEANNE DE FRANCE, nouvelle historique, 2 vol. in-12, 1816. — Les femmes laides, malheureusement en assez grand nombre sur la terre, sont si fort à plaindre, qu’il faut louer ceux qui veulent bien leur donner des consolations. Nous ne doutons point qu’elles ne lisent avec empressement la nouvelle historique de Jeanne de France, mais nous doutons qu’elles y trouvent ce que l’auteur a cherché à prouver, que la laideur n’est point un obstacle insurmontable au bonheur d’une femme, qui d’ailleurs est bonne, vertueuse et spirituelle. Jeanne est un modèle de vertu, de douceur, de patience, de sensibilité, de générosité, de pitié ; elle est aimable, spirituelle ; elle pousse la condescendance jusqu’à se rendre la confidente des amantes de son mari, jusqu’à rappeler ses maîtresses lorsqu’elles sont exilées. À quoi tout cela mène-t-il ? À être malheureuse pendant vingt-deux ans, à quitter le trône de France au moment où elle doit le partager avec Louis XII, et à céder la couronne et son époux à Anne de Bretagne. En vérité, il n’y a rien là de consolant pour les femmes laides, rien qui puisse les engager à être aussi indulgentes et aussi douces que Jeanne de France. L’auteur s’est complu à dessiner le caractère de Jeanne jusque dans ses moindres détails ; elle ne néglige rien pour la rendre intéressante ; mais, malgré tous ses efforts, il y a toujours quelque chose de gauche et de ridicule dans une femme laide qui est amoureuse d’un homme qui ne l’aime pas, et qui lui répète