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ARLINCOURT.

litaire a laissé tomber une pensée d’amour sur l’orpheline de l’abbaye. Élodie a pu remarquer la mâle beauté de cet homme singulier ; au bruit de l’orage et des vents, elle rêve à l’impression que lui cause le regard extraordinaire du Solitaire, ce regard sublime où se montre tout ce que le malheur a de plus déchirant, tout ce que la résignation a de plus noble, tout ce que l’âme a de plus expressif. Assise près de l’arche d’un torrent, Élodie faisait un jour entendre sa voix sur un luth harmonieux : dans son extase elle oublie ce luth ; et le lendemain, au même lieu, elle entend un chasseur répéter l’air de la veille sur l’instrument enchanté : ce chasseur, c’était le Solitaire. Mais une troupe de guerriers se dirige vers l’abbaye ; le chef de cette troupe est le comte Ecbert de Norindall, l’un des plus aimables et des plus puissants seigneurs de la cour de René, duc de Lorraine ; il voit sous les voûtes du monastère la fille du comte de Saint-Maur, et bientôt il en est épris. L’offre de son cœur, de sa main, ne peut tenter l’orpheline ; la violence de son amour le pousse aux résolutions désespérées ; il enlève Élodie, et déjà, suivi de ses guerriers, il est prêt à franchir le pont du torrent, lorsqu’un guerrier ferme le passage aux ravisseurs. Les soldats d’Ecbert attaquent le présomptueux qui seul ose arrêter leurs pas ; mais l’inconnu terrasse tout ce qui l’approche, et fait rouler dans le torrent les compagnons d’Ecbert ; furieux, le comte de Norindall fond l’épée à la main sur l’infatigable vainqueur. À son aspect le vaillant étranger recule de quelques pas ; et d’un geste souverain semble lui dire : Arrête ! Ecbert, étonné, suspend un instant ses coups. L’homme mystérieux lève la visière de son casque : c’est le Solitaire. Soudain la terreur s’empare d’Ecbert, il jette son glaive, tombe à genoux, et ses mains suppliantes implorent son superbe ennemi. — Nous ne pousserons pas plus loin l’analyse d’un roman que tout le monde a lu, qui n’a pas eu moins de onze éditions françaises, et qu’il est presque impossible aujourd’hui de lire sans s’endormir, ou tout au moins sans bailler à se rompre la mâchoire. Et cependant, outre les onze éditions françaises, le Solitaire a été traduit en allemand en 1821 ; en anglais, en 1821 ; en danois, en 1823 ; en espagnol, en 1823 ; en hollandais, en 1821 ; en italien, en 1821 ; en polonais, en 1823 ; en portugais, en 1824 ; en russe, en 1824 ; et en suédois, en 1823 !… Tous les théâtres mirent ce roman à contribution : Feydeau, l’Ambigu-Comique, la Gaieté, la Porte-Saint-Martin, Franconi eurent leur Solitaire, et toutes les pièces réussirent !… Il faut avouer qu’on est quelquefois heureux de venir en temps opportun.

LE RENÉGAT, 2 vol. in-8, 1822. — Nous n’entreprendrons pas d’analyser cette étonnante production. Il est des beautés tellement