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— Monsieur, je vous prie d’avoir un peu de patience ; il paraîtra le printemps prochain. — Pour le printemps, morbleu ! Je ne veux pas entendre parler de printemps. Ne m’aviez-vous pas dit qu’il devait être mis en vente à Noël, puis en juin, puis à la Pentecôte ? — Je vous demande bien pardon, monsieur, mais la multiplicité de mes affaires…. — Écoutez, monsieur Bazile, je ne suis pas venu ici pour entendre des excuses banales ; mon ouvrage doit être immédiatement imprimé et mis au jour, et je vous prie de me rendre mon manuscrit. — Monsieur, il vous sera remis demain matin. — Demain matin, monsieur, ne prendra point avec moi ; j’ai déjà assez de vos demains depuis quinze mois. Je ne sors point d’ici sans mon manuscrit. » Le pauvre Bazile, forcé dans ses derniers retranchements, est obligé d’avouer qu’il a perdu le fatal manuscrit. L’auteur assure qu’il en a refusé 12 000 fr. ; il attaque M. Bazile devant les tribunaux, et le malheureux libraire est condamné à 12 000 fr. de dédommagement.

LES DEUX GRISELDIS, traduit par Dubuc, 2 vol. in-12, 1813. — Une de ces histoires seulement est de miss Edgeworth, l’autre est de Chaucer. – Griseldis est un ancien conte fait en l’honneur des femmes, que le plus ancien des poëtes anglais, Chaucer, imita en anglais ; c’est cette imitation qui précède la traduction de la Griseldis de miss Edgeworth. La nouvelle Griseldis ne ressemble guère à l’ancienne ; c’est une Griseldis de Londres ou de Paris, femme très-jolie, très-aimable, très-spirituelle, pleine de talent et d’agrément, ayant par tant d’heureux dons et de qualités charmantes un grand ascendant sur l’esprit de son mari, mais cherchant toujours à accroître cet ascendant, à étendre son empire, à subjuguer de plus en plus ce pauvre mari, voulant que sa dépendance soit marquée dans tous les instants de la journée, et remarquée par tout le monde. Le bon mari, aimant sa femme, aimant la paix, fait tout ce qu’il peut pour plaire à l’une et conserver l’autre : vains efforts ! ce sont des plaintes continuelles, des disputes interminables. Griseldis a des fantaisies si singulières ! il faut bien hasarder quelques douces représentations ; on lui prouve, avec tout l’art et l’esprit imaginables, que ces représentations sont fort déplacées, que ce qu’on désire est fort raisonnable. S’y soumet-il ? il y a toujours quelque chicane à lui faire sur la manière dont il se soumet. Se révolte-t-il ? tous les manéges de la coquetterie ou de la sensibilité sont mis en œuvre pour réprimer une aussi dangereuse rébellion, et le ramener à sa déférence accoutumée. D’autres fois, on emploie une autre tactique, on le désole par toutes les assurances d’une soumission aveugle et sans bornes, d’une obéissance d’esclave. Il y a encore dans ce petit roman un autre personnage, Emma, véritable modèle des femmes, dont