Page:Revue des Romans (1839).djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plis du cœur humain ; elle place les personnages dans des situations où ils révèlent sans le vouloir leurs pensées secrètes ; et ces révélations, toujours naturelles, sont souvent plaisantes et comiques. — Le premier des Contes à mon fils, intitulé le Testament, est fort intéressant et offre le contraste, souvent plaisant, de trois caractères fort divers, et dont deux sont même tout à fait opposés. Dans le second, qui a pour titre la Loterie, l’auteur est descendu à des détails trop petits, dénués d’intérêt, et à des tableaux de mœurs trop dépourvus d’agrément. La plupart des autres contes offrent toutes les qualités qu’on trouve dans le premier et les défauts que nous signalons dans le second. Mais il est deux contes qui se distinguent de tous les autres ; l’un par la nature même du sujet, le lieu de la scène, la qualité des personnages ; l’autre par sa supériorité. Le premier est un conte oriental, dans lequel miss Edgeworth combat la doctrine de la fatalité, que la religion de Mahomet inculque fortement dans l’esprit des Orientaux : le récit d’Hassan le malheureux, fortement imbu de cette doctrine, est drôle ; celui de Saladin le fortuné, persuadé que son bonheur est le fruit de ses réflexions, est très-divertissant. Mais le meilleur de tous les contes du recueil est sans contredit celui qui a pour titre Demain : le fond en est très-moral, les détails extrêmement spirituels et piquants. C’est un récit très-plaisant de toutes les infortunes de M. Bazile le libraire, qui a la malheureuse habitude de remettre les choses au lendemain, de ne s’en occuper qu’à la dernière extrémité, et de croire qu’il lui restera toujours assez de temps, ce qui rend nulle la moitié des bonnes intentions de sa vie. Les événements où ce défaut se reproduit d’une manière vraiment comique, et les inconvénients qui en résultent, sont en général imaginés avec beaucoup d’esprit. Parmi les plus naturels, nous citerons le suivant : « J’étais éditeur en même temps que libraire, dit M. Bazile, et je me trouvais journellement assailli par une foule d’auteurs qui se plaignaient continuellement des lenteurs que, par suite de ma manie de remettre toujours les choses au lendemain, j’apportais dans la publication de leurs manuscrits, ce qui souvent était préjudiciable à leurs intérêts. Porté par mon mauvais génie à la pitié comme à l’indolence, il m’arrivait souvent, pour leur faire prendre patience, d’avancer de l’argent aux auteurs nécessiteux, et bientôt ils apprirent à tirer parti de ma négligence. Un de ces auteurs dont j’avais non-seulement différé de publier, mais encore dont j’avais égaré le manuscrit, et qui s’en doutait, vint me trouver furieux. Je descendis l’escalier sans avoir aucune excuse prête. « Monsieur ! s’écrie-t-il en retenant sa colère, comme vous croyez au-dessous de vous de publier mon ouvrage, je vous prierai de vouloir bien m’en rendre le manuscrit.