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DUFRESNE (Abel).


*LE MONDE ET LA RETRAITE, ou Correspondance de deux jeunes amies, 2 vol. in-12, 1817. — Le Monde et la Retraite est un roman épistolaire. Deux jeunes amies, dont l’une, Olivia, reste à Paris, tandis que l’autre, Élisa, habite en province avec une tante prodigue que mille folies ont réduite à vivre du travail de ses mains, s’écrivent tout ce qu’elles font et tout ce qu’elles pensent. Olivia est une belle demoiselle, supérieure au monde qu’elle critique, aux femmes qu’elle traite avec une extrême sévérité, et même aux hommes auxquels elle ne pardonne rien. Elle prétend avoir eu un moment l’intention de se faire dévote ; mais on jugera quelle dévotion est la sienne par la description de l’oratoire qu’elle se propose de faire arranger : cette pièce, dit-elle, ne doit être éclairée que par un jour mystérieux, encore adouci par la couleur rembrunie des vitraux qui décorent une fenêtre en ogive ; un parquet en mosaïque, une voûte gothique embellie des plus agréables peintures, un prie-Dieu de la forme la plus élégante, une harpe à la Sainte-Cécile, un piano masqué en buffet d’orgue, des livres de prières imprimés sur vélin et enrichis de miniatures, des lampes d’albâtre, des parfums exquis, des fleurs sans cesse renouvelées, quelques têtes du Guide, des gravures représentant Héloïse et Mlle  Lavallière, voilà les ornements qu’elle croit indispensables pour embellir son oratoire. De cette fille mondaine passons à sa modeste compagne. Élisa était jolie, elle avait reçu une éducation brillante, mais, dans sa nouvelle situation, c’était presque un sort, car les gens riches ne se montrent pas toujours compatissants envers ceux qu’une éducation soignée et quelques dons heureux de la nature tendent à rapprocher de leur position ; aussi Élisa et sa tante étaient-elles en butte à une foule de petites mortifications. L’auteur fait une peinture assez piquante de la ville où s’est retirée Élisa ; les rues désertes le matin, parce que les femmes occupées de soins domestiques et les hommes de jardinage restent chez eux ; les visites de l’après-dînée, le boston du soir, le souper de famille, et ces longues journées toujours semblables, qui n’éprouvent d’autres variations que celles qu’y apporte quelquefois l’almanach, tout cela est peint avec vérité. Malgré l’extrême monotonie de cette manière de vivre, les aventures ne manquent pas à la pauvre exilée. Elle inspire une vive passion à un séminariste, qui n’échappe à la séduction de la beauté qu’en allant porter les lumières de la foi dans des contrées lointaines ; une espèce de financier qui n’a d’autre mérite que sa fortune essaye de la rendre sensible ; un jeune libertin qu’elle rencontre à une fête de village veut lui faire violence, mais heureusement