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de Croixmarre. Son père, M. Simonin, était avocat ; sa mère avait commis une faute, dont la malheureuse enfant fut la suite. M. Simonin, à qui la naissance de Suzanne était suspecte, ne pouvant l’aimer comme sa fille, et sa mère ne pouvant la regarder sans se rappeler un crime et des chagrins amers, pour se délivrer d’elle on voulut la faire religieuse ; elle résista longtemps, et finit enfin par se laisser aller à prononcer ses vœux. La supérieure, dont les séductions l’avait engagée à aliéner sa liberté, meurt ; elle tombe dans la disgrâce de celle qui la remplace, et finit par être prise en aversion par ses compagnes. Alors elle a recours à la justice pour faire rompre ses vœux, et succombe dans cette tentative ; mais son avocat obtient sa translation au couvent de Sainte-Eutrope d’Arpajon. Là elle devient l’amie de sa supérieure, qui s’éprend pour elle d’une ardente passion, dont les effets sont peints avec une effrayante vérité ; elle ne se prête point aux étranges désirs de cette supérieure, qui la presse avec toute la vivacité d’un amant, et qui finit par devenir tout à fait folle d’amour. Suzanne, frappée de son état, est instruite par son confesseur du danger qu’elle a couru ; ce moine ne déteste pas moins qu’elle son couvent ; tous deux s’évadent ensemble, sans autre motif de la part de Suzanne que d’échapper enfin au supplice de la vie monastique. Elle ne tarde pas à s’apercevoir que le moine est un vaurien et le quitte. Son malheureux sort la conduit successivement dans une maison suspecte, chez un chandelier, dans un hôpital, et enfin chez une blanchisseuse à qui elle sert de fille de journée. C’est apparemment au sortir de là qu’elle devait être recueillie par Mme Madin… Les mémoires ne sont pas finis, ou bien il y a une lacune.

JACQUES LE FATALISTE ET SON MAÎTRE, in-8, 1796. — Dans ce roman, l’intention de Diderot a été évidemment d’imiter Sterne ; mais il n’a de son modèle que le décousu et le défaut de liaison. Jacques promet à son maître l’histoire de ses amours ; dix aventures et vingt récits viennent à la traverse, et ce n’est guère qu’à la fin du second volume qu’il commence la narration qu’il a promise, et il ne l’achève pas. Souvent on ne sait si c’est Jacques, ou si c’est son maître, ou l’auteur lui-même qui parle ; une historiette, une conversation est interrompue par une autre ; c’est une suite de caprices, de boutades ; mais résulte-t-il quelque beauté de ce désordre ? Pas beaucoup, en vérité. Le livre se fait lire ; il y a, si l’on veut, de l’amusement ; mais quand on l’a lu, il n’en reste absolument rien ; cela n’est bon qu’à tuer le temps ; c’est la conversation d’un bel esprit bavard, qu’on écoute assez volontiers, et qui finit par faire mal à la tête. Le nom de Jacques le fataliste semblerait indiquer que l’auteur a voulu traiter la fameuse ques-