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plus grands écrivains. « Depuis l’inoculation de l’amour dans la Nouvelle Héloïse, dit Chénier, il n’est point de situation mieux conçue, mieux développée, plus pathétique en tous ses détails, que celle de Malvina, s’introduisant déguisée dans le château d’une famille qui la persécute, y devenant la garde-malade d’Edmond, son amant ; et là, muette, impénétrable autant qu’active et vigilante, l’arrachant, à force de soins, à la mort qui semblait déjà le saisir. »

*AMÉLIE DE MANSFIELD, 3 vol. in-12. Il y a en tête de cette édition une préface très-bien écrite, qu’on ne retrouve pas dans la plupart des éditions subséquentes. — Dans ce roman, Mme  Cottin a voulu montrer à quel excès de malheur peut conduire l’amour, même le moins coupable, et à quel point l’orgueil peut endurcir le cœur ; mais pour faire ressortir ces deux grandes vérités, elle a mis parfois de l’exagération dans plusieurs de ses tableaux, et s’est écartée souvent de la vraisemblance. Tout ce qui concerne le premier époux d’Amélie est peu attachant, c’est comme l’avant-scène du drame ; mais dès qu’Ernest a paru, les émotions se succèdent avec un progrès rapide. Jusqu’au jour où les deux amants sont renfermés dans le même tombeau, on les aime et on les regrette ; on plaint avec effroi Mme  de Woldmar, mère d’Ernest et très-digne baronne allemande, qui laisse mourir de chagrin son fils unique, de peur qu’il n’épouse Amélie, fille d’une haute naissance, mais veuve d’un mari qui avait le malheur de n’être pas né baron allemand. C’est avec beaucoup de force que l’auteur a peint cet orgueil barbare qui ne cesse d’être inflexible que par des maux irréparables, et se borne à gémir en vain sur les tombeaux qu’elle a creusés. On a reproché avec raison à Mme  Cottin l’indécision de la plupart des caractères des personnages de ce roman ; mais sans s’aveugler sur quelques défauts, on doit convenir qu’elle les rachète par la magie des couleurs, par une foule de scènes attendrissantes, et par des détails enchanteurs. Est-il, en effet, rien de plus touchant que le moment où Ernest, surpris par une avalanche, est sauvé d’une mort certaine par Amélie ? Ici, Mme  Cottin, puisant dans son cœur les nobles sentiments qu’elle veut exprimer, écrit d’inspiration, se montre vraiment éloquente, et nous peint bien l’impression que doit laisser une belle femme qu’anime tout ce qu’il y a de divin dans la charité. Peut-on être insensible au charme de cette amitié vive et pure, de cette tendre confiance qui règne entre Amélie et le noble et vertueux Albert, son frère ? Quelle flexibilité de talent dans la peinture légère des aimables travers de la vive et sensible Blanche de Geysa, et dans le portrait énergique de l’austère et farouche Adolphe de Reinsberg ! — La partie la plus brillante d’Amélie Mansfield est, sans contredit, le