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pouser, la raison lui ordonne de s’affranchir du joug qu’elle lui impose ; son père lui en fait une loi ; la société exige qu’il rompe un lien qui détruit tous les avantages de sa naissance, qui lui ferme toute carrière, rend ses talents inutiles, et le condamne à traîner une vie obscure ; enfin, à tous ces motifs s’en joint un plus fort peut-être que tous les autres, il ne l’aime point ; mais cette femme est malheureuse, et malheureuse par lui ; il lui a fait perdre une existence sinon honorable, du moins opulente, et un protecteur puissant ; dorénavant lui seul peut la protéger : elle lui a fait les plus grands sacrifices ; elle en exige à son tour, et elle est mécontente encore, parce qu’elle s’aperçoit facilement qu’ils sont dictés par la générosité et non par l’amour. De là des altercations souvent très-violentes, des plaintes sans cesse renouvelées, mais souvent éloquentes, de nouveaux projets de rupture, de nouvelles faiblesses de l’autre, qui rendent ces projets inutiles, jusqu’à ce qu’enfin Éléonore succombe à cette lutte cruelle et à la certitude qu’Adolphe va enfin lui échapper. — Ces deux caractères sont tous les deux condamnables sans doute, mais le plus blâmable des deux est sans contredit celui d’Éléonore. La faiblesse excessive d’Adolphe est inexcusable, mais la générosité qui s’y mêle et qui en est le principe le rend digne de pitié ; il faut toujours accorder quelque estime à la générosité, même mal appliquée, et aux sacrifices, même faits mal à propos. Mais Éléonore, indigne de ces sacrifices et qui les exige impérieusement, ne pouvant rien offrir en dédommagement, ni son honneur qu’elle a dès longtemps perdu, ni sa jeunesse qu’elle n’a plus, traînant à sa suite un jeune homme qui a dix ans de moins qu’elle, le tyrannisant par son amour qu’il ne partage pas, et l’excédant par les emportements et la violence de sa passion, Éléonore n’est digne ni d’estime ni d’intérêt ; une sorte de compassion peut seulement s’attacher à son sort. Cependant la situation assez neuve d’Adolphe excite la curiosité, et inspirerait même de l’intérêt si elle était liée à une fable plus combinée et à des conceptions plus heureuses. À défaut d’événements, Benjamin Constant a rempli son roman d’observations spirituelles et souvent caustiques sur les hommes et la société, et d’analyses fines et déliées du cœur humain.

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COOPER. Voy. Fennimoor Cooper.


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