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tive, mettait un bâillon sur la bouche des plus hardis. Au premier moment, il ne voulut pas prendre son parti de ce silence ; il partit pour la Belgique, terre de liberté, où il fonda le Bulletin Français.

Le Bulletin Français, dont les exemplaires sont fort rares (je doute qu’il en existe un même à la Bibliothèque Nationale), était une publication d’un caractère un peu pamphlétaire, je dois l’avouer. La collection se compose de huit numéros, dont les sept premiers parurent à Bruxelles et le dernier à Londres. Elle était rédigée exclusivement ou à peu près par mon père et par un de ses amis politiques, M. Alexandre Thomas, auteur d’un ouvrage historique estimé : Une Province sous Louis XIV. Elle était destinée à être introduite en France clandestinement et combattait avec une extrême vivacité, au nom de la doctrine constitutionnelle et libérale, le régime nouvellement établi. Chaque numéro prenait vigoureusement à partie celui qui n’était encore que le Prince-Président. Mais elle s’inspirait des sentiments les plus patriotiques et, bien que paraissant à l’étranger, ne mettait son espoir que dans un réveil de l’opinion française. Comparant le premier des Napoléon au second et le 18 Brumaire au 2 Décembre, la préface disait. « Vous vous êtes passé de Marengo pour nous enlever nos libertés. Nous saurons bien les ravoir sans les payer du sang et des larmes que coûta Waterloo. »

Pour rédiger cette publication, mon père et M. Thomas s’étaient d’abord dissimulés à Bruxelles sous de faux noms : MM. Remy et Thoen. Mais le difficile était de la faire pénétrer en France. Je crois me rappeler que des mécaniciens de la Compagnie du Nord, demeurés républicains, acceptaient d’en mettre dans les grands sacs en toile grise qui servent en général à emmagasiner le charbon et qu’on charge sur les locomotives. Parfois aussi on en cachait un certain nombre d’exemplaires dans la malle d’amis dont mon père recevait la visite. Ma mère, qui était demeurée à Paris, était venue passer quelques jours avec lui, m’amenant avec elle. A son retour, naturellement, on en mit dans sa malle un certain nombre, assez maladroitement dissimulés. A la frontière, les douaniers s’en aperçurent, car ils visitaient les malles à fond, à cause de la contrebande dentellière. La femme de chambre de ma mère, qui s’occupait de la visite des bagages à la douane, avait intrépidement déclaré