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en apprenant que peut-être on arrêterait ma femme. Dans les deux cas, j’ai constaté ces faits bien caractéristiques : l’appétit disparait, l’esprit se bourre des conjectures les plus diverses, on est abattu, on a froid, on grelotte…

Mercredi, 22 septembre.

Je viens de lire dans la Belgique du 21 septembre 1915, les condamnations suivantes, encourues pour espionnage : Laurent de Backer, commis-voyageur à Uccle, à mort, — Léopold Lamy, chef de gare à Cuesmes, aux travaux forcés à perpétuité ; — et d’autres personnes à un certain nombre d’années de cette dernière peine. Ces nouvelles ne me sont nullement agréables, et en les lisant, un léger tremblement intérieur m’agite ; ce n’est pas qu’elles m’effrayent, mais elles me font un effet douloureux et dans les conditions où je me trouve, m’impressionnent vivement.

Jusqu’à présent, je ne connais point tous les éléments relevés à ma charge ; tout me fait supposer que ma vie n’est pas en danger ; mais nous sommes en état de guerre et je dois être jugé par des militaires dont les jugements réservent parfois des surprises ; d’ailleurs, je ne me fais pas d’illusions et je m’attends à être au moins gratifié d’un grand nombre d’années de prison ou de travaux forcés, ce qui m’importe peu, puisque je sais que nous serons remis en liberté après la guerre. Même, si je devais être condamné à mort, je ne craindrais point, ce me semble, l’exécution, non pas que je ne tienne plus à la vie, au contraire, mais mon devoir, d’après moi, me condamne de montrer à l’ennemi combien les Belges sont courageux, même en face de la mort. Puis, je crois avoir accompli un beau geste, en courant le risque d’être condamné pour les autres, d’autant plus que nous vivons dans une société où l’égoïsme règne à outrance, où les hommes, pour atteindre leur bonheur personnel, n’hésitent pas bien souvent à provoquer le malheur de leur prochain. À cet égard, mon cas est typique. Si je me trouve en prison, c’est à la suite d’une dénonciation, qui, je suppose, a été provoquée par l’attrait d’une prime. En lisant ces condamnations, on se sent douloureusement ému, en voyant ces braves compatriotes sacrifier leur vie pour nous tous, et pour la Patrie, on se sent frémir devant ces terribles monstruosités dont la guerre est la seule cause.

M. Henry est encore venu me trouver et insiste, etc… Zut ! je