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l’accuse, fait entendre sournoisement qu’elle le tente, qu’elle le damne, qu’elle est l’instrument du démon. Bref, le fourbe fait tant qu’il persuade les crédules Schwarzkopp, dans son intérêt éternel et pour le bien de la famille, de faire exorciser le « vampire. »

Une affaire de sorcellerie, en pleine Europe moderne, est un sujet original. Dans un pays qui ne reconnaît point de tribunaux d’Eglise, un pareil jugement est un jugement domestique. Le père est le magistrat suprême. La scène se passe dans la ferme de Rosen. Le Rechnungsrat dévoile lui-même la honte de sa fille. La veille cependant, les Schwarzkopp ont été chercher dans la carriole deux « frères » de Herrnhut, et la présence de ces hommes de Dieu ajoute au jugement de la solennité.

« Des tignasses en désordre leur tombant jusque sur les yeux, des cous épais, de grosses épaules, des poings de rustres, les dehors de marchands de bœufs, » tels nous apparaissent les deux compères, frère Blei et frère Tobler ; celui-ci a en outre « une face de fromage blanc, avec un nez de suif, surmontant sa barbe apostolique, où se pincent des lèvres bleuâtres. » Cet homme blême est veuf et père de six enfants. Une vision opportune, comme jadis au prophète Osée, lui a révélé qu’il se devait au rachat d’une pécheresse. Anna sera donc sacrifiée aux volontés du ciel. Elle fera son salut en épousant le saint homme et en mouchant les petits Tobler.

Cet épilogue a de la grandeur. On y reconnaît, avec une nuance plus froide, la rageuse apostrophe de la Cloche engloutie : « Curé, barbier, maître d’école... Canailles, noix creuses, gueux, mendiants !... Hypocrites ! vous êtes la digue qui abrite l’enfer aride de la bassesse contre la mer divine, le flot paradisiaque des ondes du bonheur... » Et l’on reconnaît aussi cette pitié pour la femme, malheureux jouet de l’égoïsme et de la sensualité, esclave aujourd’hui comme aux siècles barbares où le sort partageait aux vainqueurs le butin suppliant des captives. Voilà l’histoire des premières amours de Luz Holtmann. Qui ne comprendrait le désespoir du jeune homme qui découvre pour la première fois le « cloaque de la vie ? »

Mais, sans nier la mélancolie de la conclusion, on ne peut s’empêcher, quand on vient d’achever l’ « idylle » de l’auteur allemand, de se demander si un tel ouvrage est réellement un poème. Sans doute, il est écrit en vers, et l’hexamètre allemand