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n’est point du Rapport de Gand qu’il y est question. Bail s’y attaque, avec justesse parfois, toujours avec violence, à l’immortel pamphlet qui avait « valu une armée à Louis XVIII, » et qui préludait, par la grandeur de ses images, à la poésie dont les romantiques devaient parer la légende napoléonienne…

Seulement, l’attaque venait un peu tard. Bail s’en explique dans un Avertissement. Il avait composé sa brochure « en juin 1814 ; » mais alors « aucun libraire n’osa se charger de l’imprimer. » Au reste. Chateaubriand n’a rien perdu pour attendre ; Bail n’aurait voulu pouvoir conserver toujours le ton de modération qui convient à la vérité outragée, à la justice, à la valeur méconnue, au patriotisme et a l’honneur français si indignement calomniés ; » mais « il n’a pas été toujours le maître de se contenir et souvent, malgré tous ses efforts, l’horreur qu’il éprouve a entraîné sa plume… »

Certes, il ne ménage à Chateaubriand ni l’ironie, ni le sarcasme, ni l’invective ; il le montre « donnant le coup de pied de l’âne à l’Empereur, arrivant comme le corbeau après la bataille pour dévorer les cadavres ; » il raille, en bon grognard, ses « capucinades ; » il écrit : « M. de Chateaubriand, emporté par la fougue d’une imagination déréglée et les écarts d’un rigorisme insensé, se rendit un beau matin de Paris à Jérusalem ; il fut attaché près d’une heure a la longue et formidable rapière de Godefroy de Bouillon ! » et c’est pour cela que « le mérite militaire de Napoléon serait traduit au tribunal de M. de Chateaubriand ! »

Au reste. Bail concède que l’auteur du trop fameux pamphlet n’est point sans mérites littéraires : il trouve en lui « les horribles beautés de Shakspeare, le trivial, le burlesque, mêlées aux noires fureurs du tragique le plus terrible… » Cet officier, décidément, n’était guère romantique ; mais il savait à peu près son auteur : aux sublimes injures de Buonaparte et les Bourbons, il opposait les phrases du Génie où l’Empereur était appelé le « nouveau Cyrus » et « l’homme tout-puissant envoyé par la Providence…. » Devant certains reproches lancés ingénument par le grand écrivain contre le « grand gagneur de batailles » et le grand administrateur de la France, l’ancien officier de l’Empereur, l’ancien intendant du roi Jérôme avait beau jeu, trop beau jeu ; et il en profitait.