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surprenante combinaison de galeries couvertes, de bassins, de chaussées pavées, d’escaliers vertigineux, de pyramides et de tours : jamais, pour nous reposer, une surface calme comme celles auxquelles nous ont habitués la Grèce et L’Égypte : toujours au contraire des formes tourmentées, des labyrinthes, une profusion de détails, des silhouettes de flammes ou de monstres ; partout une écrasante impression de barbarie et de force.

Des proportions dont on demeure confondu : le temple d’Angkor, — Angkor-Vat, — couvre à lui seul 150 hectares ; et l’unité de son plan est si manifeste que notre visite se développe au travers des enceintes et des cours successives comme la lecture d’un long poème : malgré l’infinie complexité des détails, l’idée centrale et le but restent constamment visibles : l’esprit s’élève avec piété, dans cette longue ascension, vers la suprême et hautaine galerie où rêve le Bouddha.

Dans l’un de ces temples un charmant spectacle nous attendait. Nous cheminions parmi une végétation fantastique, entre les murs où courent de grimpantes racines escaladant les toits avec des aspects vivants de pieuvres ou de serpents. Une chaleur accablante ; une lumière si vive que les choses paraissaient décolorées ; l’impression de violer un mystère.

Or, à l’instant où nous allions sortir de ces ruines, une troupe de danseuses royales envahit lentement une courte terrasse bordée de deux serpents de pierre dressant l’orgueilleuse palme de leurs sept têtes sacrées : sous le fard qui simplifie leurs traits, leur chair dense et brune a pris la couleur grise des pierres : elles semblent jaillies des ruines mêmes. Et les voilà qui renouvellent les gestes impossibles, les arabesques anguleuses des danseuses sacrées sculptées dans ces murs : elles sont vêtues comme elles et coiffées des mêmes tiares : elles composent au son d’une musique sourde et triste des figures paisibles de menuet : plutôt qu’une danse, se sont des mouvements de bras et de mains qui font songer à ceux des algues remuées par un courant paisible. Et cette apparition est si soudaine, si en harmonie avec ce cadre magnifique que, comme Wordsworth, il nous semble avoir besoin de toucher un arbre ou un mur pour nous assurer que ce n’est pas tout à fait un rêve.

Voilà comment Sisowath, habile et délicat metteur en scène, a voulu fêter ce matin d’une façon exquise la visite du