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UN GRAND LINGUISTE DANOIS, VILHELM THOMSEN.

l’auteur était telle, les données sur lesquelles il s’appuyait étaient si sûres, les conclusions qu’il en tirait si évidemment solides, que dès l’abord les résultats en ont été acquis à la science. Paru en 1869, le travail sur les emprunts du finnois au germanique était traduit en allemand dès 1870 par les soins d’un linguiste, jeune alors, M.  Sievers, qui était destiné à devenir l’un des principaux germanistes de sa génération. Ce mémoire apportait, en effet, à l’histoire des langues germaniques comme à l’histoire du finnois, des faits qui éclairaient à la fois l’une et l’autre. Empruntés à une date très ancienne, antérieurement à l’existence de toute littérature écrite en germanique, les mots que le finnois a reçus des Germains ont une forme qui égale ou dépasse en archaïsme ce que l’on trouve même dans les plus anciens monuments gothiques ou Scandinaves.

Mais, pour précieux qu’il soit, le profit que les techniciens ont retiré du grand travail de début de M.  V. Thomsen est peu de chose auprès de l’intérêt qu’offrait d’une manière générale ce type de recherches.

Jusque-là, les linguistes observaient le développement pour ainsi dire linéaire d’une langue considérée en elle-même, sans attacher grande importance aux actions exercées du dehors. Et même on cherchait plus à deviner la forme initiale, « primitive, » des langues considérées qu’à en suivre de près le développement au cours des siècles. C’était en 1869 une nouveauté singulière que de concentrer toute l’attention sur des emprunts d’un groupe de langues à un autre, que de montrer le parti qu’on en pouvait tirer pour observer le développement des deux groupes considérés, et que d’éclairer par là, non seulement l’histoire des faits linguistiques, mais l’histoire des nations elles-mêmes, que de mettre en évidence les actions exercées par une civilisation sur une autre.

Si le second travail de M.  V. Thomsen, celui sur le contact entre les langues baltiques et les langues finnoises, paru environ vingt ans plus tard, en 1890, a fait moins de bruit, ce n’est pas qu’il soit de valeur moindre. La maîtrise de l’auteur est la même, les données sont tout aussi sûres, — et moins connues encore, — les conclusions tout aussi certaines. La portée pour l’étude du finnois en est même plus grande, parce que les emprunts au baltique sont plus anciens que ceux qui ont été faits au germanique et s’étendent à un nombre plus grand de parlers