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UN GRAND LINGUISTE DANOIS, VILHELM THOMSEN.

l’absence d’un protecteur tel que celui trouvé par Bopp en la personne de Guillaume de Humboldt, et aussi le manque à utiliser le sanscrit qu’on commençait seulement alors à étudier en Europe n’ont pas permis à Rask de tirer parti de ses idées. Mais la netteté, la sobriété, la précision de vues de Rask donnent lieu de croire que si la grammaire comparée des langues indo-européennes avait suivi son impulsion, et non celle de Bopp, bien des constructions vaines n’auraient pas été élevées.

À ses rapprochements exacts, et, pour une large part, définitifs, Dopp a eu le tort de mêler un nombre énorme d’hypothèses sur la façon dont se seraient constituées, « à l’origine, » les formes grammaticales des anciennes langues indo-européennes. Ces spéculations sur des « formes primitives, » qu’aucun témoignage ne permet d’atteindre, ni même d’entrevoir, ont plus fait sans doute au début pour le succès de la grammaire comparée que la partie solide de l’œuvre de Bopp. Mais, de 1870 à 1880, il en a fallu déblayer la science.

M. Vilhelm Thomson, né à Copenhague en janvier 1842, et dont on célèbre en ce moment le quatre-vingtième anniversaire, a été, parmi les « comparatistes, » l’un des premiers qui ait renoncé aux théories imaginaires sur la constitution « primitive » de la langue indo-européenne commune et qui se soit attaché, non aux hypothèses sur les « origines » imaginées à plaisir, mais à l’histoire des langues, fondée sur des faits positifs.

Tandis que, jusque-là, des Allemands avaient été presque seuls à cultiver la grammaire comparée, on commençait vers 1870 à étudier la nouvelle science hors de l’Allemagne. Le Français Bréal, l’Italien Ascoli orientaient la recherche vers l’observation de faits relativement modernes, et se souciaient plus d’histoire que d’une préhistoire imaginaire. Un peu plus tard, de jeunes maîtres tels que le Genevois Ferdinand de Saussure, le Russe Fortunatov, devaient donner à la théorie des langues indo-européennes des formules rigoureuses. Les savants allemands contribuaient largement à développer la grammaire comparée mais ils n’en avaient plus le monopole.

C’est un Danois, K. Verner, qui, en 1877, a publié l’une des découvertes qui ont donné un tour nouveau à la recherche. Avec une pénétration singulière, il a expliqué par un rapprochement avec l’accentuation des vieux textes de l’Inde, l’irrégularité la plus surprenante qui subsistait dans l’histoire de la pro-