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UNE AMITIÉ DE BALZAC.

partout ; des dettes plus que je n’en voudrais ; notre grande affaire[1] ajournée encore, parce que nous voulons donner les quatre-vingt-six volumes pour quatre-vingts francs par an, — nous en avons trouvé les moyens ; — tout cela me fait travailler nuit et jour. J’ai, pendant un mois, à ne pas quitter ma table, où je jette ma vie comme un alchimiste son or dans un creuset.

Le temps est si mauvais, et mes deux chevaux[2] si chers que je n’ose aller à Saint-Cyr. Cependant, au premier jour, je tomberai chez le capitaine Périolas, qui m’a écrit une lettre, ravissante de grâce, de style et d’amitié.

Le grand Borget[3] a vu démolir mon projet. Il n’est plus question de voyages.

Quant au papier, je vous enverrai un échantillon. Quant au carrick de mon commissaire, il est parti sérieusement ; j’ai le reçu de la diligence. Quant à la femme, il s’en présente quelques-unes, mais je ne me lierai qu’à bon escient. Et si je suis riche, comptez que j’aurai le moins de valets possible, que je vivrai pachaliquement dans une terre et que je ne serai que quatre mois à Paris ; que je préfère des amitiés à toutes les richesses, et que la meilleure jouissance sera toujours, pour moi, une causerie au coin du feu, avec trois ou quatre bonnes amies à moi, indulgentes et gaies,

Pour tout ce que vous souhaiterez, comptez sur moi ; mettez-moi à l’épreuve, et ne craignez jamais d’user l’attachement sincère et profond que vous a voué

H. Balzac.


La visite de Balzac a revivifié la pauvre exilée et la correspondance va prolonger ces heureux effets. Dès le 19 janvier elle lui écrit :


Le 19 janvier 1832.

Depuis quinze jours, je croyais chaque matin partir pour, Limoges[4] ; c’était de cette ville que je comptais vous écrire, cher Honoré. Mais, soit le temps, soit la volonté du maître,

  1. Une grande affaire de librairie, qui n’aboutit pas.
  2. Balzac, très fastueux à cette époque, possédait groom, tilbury et deux chevaux de prix, dont l’un avait nom Smogler.
  3. Auguste Borget, peintre orientaliste, ami de Mme Carraud qui l’avait présenté à Balzac. Borget habita quelque temps 1, rue Cassini, en compagnie du romancier.
  4. Où habitait Mme Philippe Nivet, née Lucile Tourangin, sœur de Mme Carraud. M. Philippe Nivet était fabricant de porcelaines et devint le fournisseur atittré de Balzac.