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indifférent à ce qui m’adviendra. Mille tendresses à Laure ; ne la reverrai-je donc plus aussi ? Combien je me reproche d’avoir négligé les rares occasions qui se sont présentées de la voir ! C’est le temps des remords… Si j’avais su que je devais si tôt quitter Paris, comme j’aurais bien mieux employé mes instants !


Peu après, à Frapesle, Mme  Carraud apprit la décision qui l’exilait en province, loin de Paris, à la Poudrerie d’Angoulême. Elle écrivit aussitôt à Balzac :


Frapesle, le 6 août 1831. [5

Je serai ici jusqu’au 10 septembre à peu près, Honoré, et je serai bien heureuse de vous y recevoir ; munissez-vous d’un grand fonds de tolérance ; mon père, qui tient la maison, est vieux, ses domestiques sont vieux ! il y a ici un laisser-aller qui vous fera peur ; il faut, à Frapesle, vivre dehors pour être bien, mais le plaisir que vous me ferez vous donnera du courage ; je compte donc sur d’agréables instants. Nous allons à Angoulême : Carraud y est nommé inspecteur de la Poudrerie. L’État me loge dans une maison où je serai seule, où j’aurai un jardin, dans une position ravissante. Dans ma maison, seule, j’aurai une chambre d’ami. Je suis enchantée de tous les arrangements. Je ne suis pas dans la ville, mais à trois quarts de lieue. Comme je vais travailler à oublier Saint-Cyr et ses amertumes, surtout si quelques-uns de vos souvenirs, et ceux de quelques amis choisis, viennent me trouver aussi loin de Paris !

Adieu, Honoré, je ne vous écris pas, parce que des dames m’ont donné leur journée et que je ne puis les quitter, mais quand vous serez ici nous parlerons !

A vous d’amitié.
Zulma.

Je n’ai pas de cachet[1] ; faites m’en faire un qui vous plaise, je ne veux mettre que vingt francs.


Mme  Carraud s’installa donc, tant bien que mal, dans la maison d’Angoulême attendant Balzac, dont elle escomptait la venue pour adoucir les débuts de son exil. Mais Balzac ne venait pas, retenu à Paris par ses travaux littéraires, par le lancement de la Peau de cha-

  1. On sait à quel point Balzac aimait les cachets. Il en avait de toutes sortes sur lesquels le fameux Perry, du Palais-Royal gravait des devises hébraïques, des emblèmes, des couronnes de comte, des armoiries, etc.