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REVUE DES DEUX MONDES.



SONNET


Pour aller vers la nuit peut-être sans aurore,
Ne prends pas le flambeau qui brûle ; ne prends pas
Le bâton si souvent familier à ton pas,
Qui talonne la route et fait l’ombre sonore.

Ne te retourne pas. Laisse la porte clore
Son vantail qui retombe avec un lourd fracas ;
Laisse-là le manteau, la sandale ; tu n’as
Pas besoin de la gourde où du vin luit encore.

Mais, avant de partir, cueille dans le jardin
Déjà sombre la fleur du souvenir, afin,
Si la nuit où tu vas est la nuit éternelle,

Pétale du passé sur ton cœur anxieux,
Que toute la ténèbre à jamais garde d’elle
La présence d’un beau parfum mystérieux.


FRAGMENT


... Parfois, quand tu surgis de mon passé, j’oublie
Mon tourment, ma détresse et ma mélancolie,
Et tu chantes en moi, souvenir d’Italie !

C’est le bruit d’une rame à l’angle d’un canal,
C’est ma gondole avec à la proue un fanal
Qui frôle le haut mur rouge de l’Arsenal...

Ce sont des voix d’enfants par un matin d’automne,
C’est un palais avec un store en toile jaune,
C’est l’Adige et la Place aux Herbes, à Vérone…,

C’est dans quelque jardin la chute d’un fruit mûr,
Tandis que, par delà les cyprès, au ciel dur,
Quelque dôme romain se courbe sous l’azur...

... Puis, soudain, je te sens dans mon âme vieillie
Redoubler mon tourment et ma mélancolie
Et tu pleures en moi, souvenir d’Italie !