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printemps, — et je priais. Le Président lut à haute voix les noms des autres prisonniers. Mon tour vint enfin :

« La citoyenne Tatiana Kourakine est condamnée par le Haut Tribunal à une année de prison avec travaux forcés, étant considérée comme personne dangereuse pour la République paysanne et ouvrière des Soviets ; coupable de contre-révolution, de relations avec les blancs, et d’avoir recommandé un employé des Soviets, Tarabykine, à son cousin, le baron Wrangel, par une lettre écrite de sa main. »

Un an de prison ! Dieu avait entendu mes prières ! J’avais vécu trois mois dans l’attente du jugement, avec les plus sombres perspectives : qu’était-ce qu’une année de captivité en comparaison ? Tarabykine avait deux ans de prison : lui aussi, il s’en tirait à bon compte.

Dans la salle, le public était debout, en rumeur ; beaucoup de gens complètement inconnus s’approchaient de moi, m’offraient leurs félicitations, ou me souriaient de loin avec sympathie. Mon défenseur accourut, rayonnant, et me félicita. Nos gardes nous pressaient de partir. Nous fûmes reconduits dans la salle « pour criminels graves, » où nous devions passer encore une fois la nuit. Mais combien différent était maintenant notre état d’esprit ! A l’angoisse avait succédé l’animation, presque la gaité : nous passâmes la soirée à causer de mille choses. Le sort réunit parfois les gens d’une façon étrange ! La similitude de notre position nous donnait le sentiment d’être de vieux amis.

Le lendemain matin, je fus reconduite à la prison, où je fus fêtée. Depuis quatre jours qu’on ne me voyait pas revenir, on ne laissait pas que d’être inquiet...


Princesse TATIANA KOURAKINE.