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— Non.

J’appris plus tard que Tarabykine avait été arrêté pour faits de service : on avait opéré une perquisition dans sa chambre, et on avait trouvé nos lettres. Cela remontait au commencement de décembre ; depuis, les autorités avaient cherché partout mon fils pour l’arrêter aussi, et, ne l’ayant pas trouvé, elles avaient envoyé le juge d’instruction me chercher au camp Androniev.

Mon interrogatoire dura encore quelque temps, le juge notant toutes mes réponses, et toujours sans m’avoir une seule fois regardée en face : comme je l’ai dit plus haut, ce trait me frappait toujours. Lorsqu’il eut fini de me questionner, il me dit :

— Vous allez être mise en jugement, et d’abord conduite en prison. Vous avez cinq minutes pour faire vos préparatifs.

On allait me conduire en prison !... Ces mots sonnaient à mes oreilles comme un glas. Je songeais à Kiev, à mon arrestation, à mon entrevue avec « la présidente » Egorova, à la conversation que j’avais surprise concernant mon exécution, à mon départ pour Moscou... et voilà qu’une nouvelle épreuve venait se joindre à toutes les autres ! On allait m’emmener en prison et me juger ! Mais il n’y avait pas de temps à perdre en réflexions : le juge d’instruction m’attendait. Je me mis en devoir d’emballer le peu d’effets que je possédais. J’étais calme extérieurement, mais mes mains tremblaient et refusaient d’obéir. Cependant, la nouvelle de mon malheur s’était répandue dans le camp avec la rapidité de l’éclair, et tout le monde accourait me dire adieu... J’étais touchée de ces marques de sympathie. Je traversai pour la dernière fois la cour du monastère. La vie au camp Androniev était loin d’être douce, mais de pires tribulations m’attendaient.


V. — AVEC LES VOLEUSES ET LES FILLES PUBLIQUES

Un automobile nous attendait à la porte du Monastère. J’y montai, accompagnée du juge d’instruction et d’un des gardes, ce dernier armé jusqu’aux dents, et nous roulâmes lentement par les rues sales et mal tenues de la « capitale paysanne et ouvrière. »

Je me souvins soudain que je portais sur moi, cousue dans la doublure de mon manteau, une lettre, — une espèce de testament, — adressée à mon mari, dans laquelle je m’exprimais très énergiquement sur le compte des bolchévistes. Je craignais d’être