Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 12.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’heure de la visite. Slonim arrivait, examinait les malades, pansait les plaies. Le déjeuner était servi à une heure ; puis j’accompagnais le médecin au camp, s’il y avait des malades. Slonim partait à cinq heures, et je retournais à l’hôpital pour exécuter ses prescriptions : compresses, ventouses, injections, etc. Cela fini, j’avais à faire exécuter les ordonnances à la pharmacie, rédiger la fiche des malades et la porter à la chancellerie de l’hôpital : vers sept heures seulement, je pouvais prendre un peu de repos. A neuf heures, je revenais auprès des malades pour faire leur toilette du soir, les laver, changer leur linge, etc., et je m’attardais à bavarder avec eux. Nous étions devenus de grands amis : un malheur commun rapproche, et j’avais affaire à des gens privés de leur liberté, comme moi-même, sans raison, sans excuse.

Je ne puis passer sous silence l’état pitoyable de tout ce qui avait rapport aux conditions sanitaires en Russie, à cette époque, état du au « génie créateur de l’autorité paysanne et ouvrière. » Il n’y avait ni produits pharmaceutiques, ni savon, ni désinfectant d’aucune sorte, ni bandages ; d’un mot, on manquait de tout. Les malades souffraient presque tous d’un état d’extrême anémie, accompagné d’abcès, mais, en l’absence de teinture d’iode, de peroxyde et d’alcool, nous étions souvent obligés de laver leurs plaies avec de simple eau bouillie. Nous avions si peu de coton, de mousseline et de bandages, qu’il fallait des prodiges d’économie pour les faire durer ; je lavais et relavais les bandages jusqu’à ce qu’ils fussent réduits à l’état de ficelles. Quant aux tabliers, nous étions souvent obligés de remettre le même pour nous rendre dans la salle destinée à isoler les cas de maladies infectieuses. Cette salle se trouvait à côté de la salle commune de l’hôpital et n’était jamais désinfectée à fond, faute d’outillage. Les malades contagieux devaient être envoyés à l’hôpital central. Le plus souvent, nous n’avions pour les transporter que la charrette qui servait à apporter le pain et les vivres à l’hôpital. Il n’y avait rien pour couvrir les malades, et ils étaient traînés ainsi, au pas, par un froid intense, d’un bout de Moscou à l’autre.

Je me souviens d’un jour où nous fûmes avertis que Goloubeff, de qui dépendaient tous les hôpitaux de Moscou, venait inspecter l’hôpital du camp et que tout devait être en ordre. Le médecin en chef, Slonim, était absent ; le second médecin