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elle voyait devant elle une femme profondément malheureuse. Elle était mère, elle avait une fille de quinze ans qu’elle aimait tendrement, disait-on, et pourtant elle était capable d’agir avec cette cruauté, me donnant l’illusion que mon fils allait être mis en liberté, puis brisant brutalement cet espoir ! Cette femme, ce diable en jupes, comment l’oublier, comment lui pardonner ?

Je ne sais comment je regagnai la prison : je me sentais anéantie. J’appris, le même jour, que j’étais sur la liste des condamnés à mort. En d’autres temps, j’aurais été bouleversée par cette nouvelle, révoltée de tant d’injustice. Mais à ce moment, mon cœur semblait être devenu de pierre ; je serrai les dents, attendant en silence mon destin et tâchant de « sentir » le moins possible. Je me demandais seulement avec effroi si André était informé de ce qui m’attendait. J’appris plus tard qu’il savait tout et tâchait de me le cacher, tandis que je m’efforçais, de mon côté, de ne rien lui laisser apercevoir.

Le spectacle des condamnés qu’on menait à la mort était chose habituelle dans notre prison. Les gardes venaient toutes les nuits, entre dix et onze heures, emmener les victimes, désignées pour être fusillées. Les malheureux auraient inspiré la pitié, même s’ils avaient été de véritables criminels, et ils étaient innocents de tout crime ! C’était, pour la plupart, des officiers, des généraux, des employés de l’ancien régime. Une terreur nous prenait, et nos cœurs cessaient de battre, lorsque ces infortunés étaient emmenés dans la nuit. Un silence profond régnait dans la pièce et les regards s’abaissaient involontairement. Presque tous, ils savaient mourir ; ils allaient à la mort avec un calme et un courage étonnants ; seule, la pâleur mortelle de leurs visages, et leur regard inspiré, disaient qu’ils n’appartenaient plus à ce monde !

Quelques-uns ne voulaient pas mourir ! Ce spectacle était le plus horrible à voir : ils s’accrochaient aux planches des « nary, » aux portes et aux murs, criaient et hurlaient comme des fous, tandis que les gardes les poussaient rudement en avant et les emmenaient sans pitié, se moquant d’eux et répétant :

— Ah ! tu n’as pas envie de te coller au mur, on saura bien t’y forcer.

Un frisson me secouait à cette vue ; je tremblais de rage et j’étais obligée de faire des efforts incroyables pour ne pas me