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terminé, je lui demandai la raison de mon arrestation, et quel était mon crime vis-à-vis de l’autorité des Soviets.

— Il n’y a aucun chef d’accusation contre vous, me répondit-elle. Vous avez été arrêtée comme étant la seule princesse qui soit restée à Kiev.

Ses yeux caressants, à demi clos, s’allumèrent soudain d’une expression de haine, et je me rendis compte à cet instant, que cette femme était plus dangereuse et plus vile que tel Avdokhine, Térékhoff ou autre.

— Je ne comprends pas, lui dis-je. Vous avez aboli tous les titres et toutes les distinctions de classe... je ne suis donc plus princesse à vos yeux ; et cependant, vous m’arrêtez pour mon titre !

— Il ne s’agit pas de cela, répliqua-t-elle, et je dus me contenter de cette brève réponse.

Je lui demandai quel serait le sort de mon fils. Sur sa réponse, qu’il allait être mis en liberté, j’exprimai le vœu de lui dire adieu avant sa libération.

— Je vais donner l’ordre de l’amener ici, répondit-elle ; vous pourrez prendre congé de lui, ici, devant moi.

Je débordais de reconnaissance, je rayonnais de joie à la pensée que mon fils allait être mis en liberté. Dix minutes plus tard, André parut, escorté d’un garde. Je l’embrassai tendrement, et lui annonçai qu’il allait être libre de retourner à la maison, le priant de transmettre mon salut affectueux à Mme I. et à tous les nôtres.

A peine avais-je fini de parler, qu’Egorova se leva... Elle semblait métamorphosée : son visage avait perdu son expression de bonté ; ses yeux étaient durs et brillants comme de l’acier ; elle étouffait de rage et de colère.

— Camarade Kourakine, dit-elle en se tournant vers mon fils, tout ce que vient de vous dire votre mère est faux. Vous n’allez pas être élargi, bien au contraire : vous serez condamné à trois ans de travaux forcés. Vous êtes jeune ; nous voulons refaire votre éducation, afin que vous deveniez un honnête communiste, utile à sa patrie socialiste.

Mes lecteurs comprendront sans peine ce qui se passa en moi. La tête me tournait : je me laissai choir sur une chaise, tandis qu’Egorova arpentait de long en large la chambre, en souriant. Son sadisme était satisfait : elle m’avait porté un coup mortel ;