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qui équivalait à un suicide. Dans la nuit du 30 novembre-1er décembre, devant une attaque vigoureuse de Petlioura, nos « troupes » furent obligées de battre en retraite. La capitulation devant Petlioura équivalait à une capitulation devant des sauvages, qui tuaient et torturaient leurs victimes sans jugement ni merci. Une partie des officiers furent faits prisonniers par le « chef socialiste de l’Ukraine indépendante » (Samostiynaïa) ; quelques-uns parvinrent à s’échapper : d’autres encore se cachèrent où ils purent. J’avais beaucoup de parents et d’amis parmi les défenseurs de Kiev : les frères Shébéko, le prince Kantacuzène, K. Arapoff et autres. Ils trouvèrent presque tous un abri temporaire au Consulat d’Italie, — grâce à la belle et généreuse attitude du Consul, — en attendant le moment où on pourrait leur faciliter le moyen de quitter la ville. Mon neveu, K. Arapoff, fut malheureusement fait prisonnier et interné, avec un groupe de cinq cents officiers, au Musée pédagogique, transformé en camp militaire. Petlioura ayant quelque difficulté à subvenir à la nourriture de tant d’officiers, nous entendîmes un jour le bruit d’une détonation... une bombe avait été jetée dans ce « musée humain... » par inadvertance, disait-on... Il n’y eut heureusement pas beaucoup de victimes, et K. Arapoff resta en vie.

L’hetman, au cours de ces journées tragiques, parvint à s’enfuir de Kiev, avec l’aide de ses amis, les Allemands, qui l’emmenèrent secrètement en Allemagne. Ainsi finit l’épopée de Skoropadsky, dernier hetman de l’« Ukraine indépendante ! »

Nous nous réveillâmes au matin du 14 décembre, pour contempler Kiev décoré de « Jovto-blankitny prapers, » ce qui veut dire, en dialecte galicien : « drapeaux bleus et jaunes. » Toutefois, malgré tous ces « prapors, » Kiev reçut ses nouveaux maîtres sans enthousiasme ; chacun était sombre et accablé, prévoyant toutes les horreurs qui l’attendaient. Petlioura commença par arrêter tous les ministres et autres fonctionnaires de l’hetman. Le brave général Keller, qui avait commandé les « forces » de Kiev, fut aussi arrêté, et traîtreusement tué par une balle dans le dos, ainsi que son aide de camp, le chevalier-garde Pantéléeff, pendant qu’on les transférait, la nuit, d’un lieu de détention à un autre.

Nous fîmes de notre mieux, pendant ces journées terribles, pour sauver autant d’officiers qu’il nous fut possible en protégeant