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l’ombre errante du Caudron français, volant bas, plane sur tout ce spectacle militaire.

Après la revue, le cortège se rend par le Cours Joffre au Jardin Français, où, au milieu d’une foule incroyable, a lieu la pose de la première pierre du monument de la Victoire.

Ensuite le Maréchal se dirige, sous des arcs de triomphe, vers la réception organisée au magnifique Cercle Français, à l’entrée de la rue de France. Alors défilent devant lui plus d’un millier de personnes : le Conseil municipal de la Concession française, la Chambre de commerce française, une délégation d’officiers chinois envoyés par le supertouchoun Ou-Peï-Fou, la Chambre de commerce chinoise, les anciens combattants alliés, une jeune Alsacienne en costume, les élèves de l’École municipale française, la colonie française, les colonies alliées… Parfois un discours ; ainsi le consul d’Angleterre, d’une voix chaude, s’écrie : « M. le maréchal Joffre est un grand Français ; mais il est encore autre chose ; il est une grande figure dans l’histoire du monde, et j’exprime le sentiment de tous ceux qui sont ici, quand je dis que nous regardons le Maréchal avec le même respect que si nous étions Français nous-mêmes. Ce jour demeurera pour jamais dans notre souvenir et nous serons tous fiers de pouvoir dire à nos enfants et aux enfants de nos enfants : à Tien Tsin, le 4 mars 1922, j’ai vu le maréchal Joffre, je lui ai parlé, je lui ai serré la main ! »

Et le défilé continue jusqu’au moment où, dans l’enthousiasme général, la musique attaque la Marseillaise, reprise, en chœur ardent, par les mille bouches de l’assemblée.

Puis le Maréchal se rend, au fond d’un jardin chinois, tout gris et mort, désolé par le rude hiver, à la résidence du Gouverneur civil Tsa Joui, dont il est l’hôte pour le déjeuner. On le conduit dans la salle de théâtre où les tables sont dressées ; et, pendant le repas, une représentation a lieu ; la représentation d’une pièce acrobatique d’une incroyable fantaisie : il s’agit de deux personnages qui se cherchent dans la nuit pour se battre : masques, costumes, couleurs, gestes, jeu, inventions, attitudes, tout donne l’impression du cauchemar et de l’impossible réalisé ; mais surtout, durant toute la pièce, un obsédant tintamarre de castagnettes, de tambours, de cymbales, de flûtes aigres, sorte de musique d’exorcisme, produit sur les