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dent de la République chinoise. On longe les hautes murailles, peintes en ronge pompéien de la Ville Interdite, couronnées de tuiles jaunes, des portes massives, des ponts de marbre, un lac immense avec une île surmontée d’un pavillon ; et voici l’ancien palais de l’Impératrice, devenu la Présidence de la République.

Dans un salon chinois, le président, M. Shu Che Chang, accueille le Maréchal ; il est de taille égale à celle de Joffre, il est en habit barré par le grand cordon de la Légion d’honneur : une figure calme, intelligente et bienveillante de vieux lettré. Il exprime sa reconnaissance à la France de lui avoir envoyé un tel représentant, et forme des vœux de prospérité pour notre pays ; il présente ses ministres et en particulier celui des Affaires étrangères, le docteur Yen, qui assure depuis les derniers événements la Présidence du Conseil. Puis on passe à table : encore des ailerons de requin, des nids d’hirondelles et des pousses de bambous ; mais une tendre musique ancienne berce les convives. À la fin, des toasts où l’on célèbre la longue amitié franco-chinoise et la décision du Gouvernement chinois de se ranger du côté des Alliés contre l’Allemagne…


27 février.

Avant d’aller déjeuner à la légation du Japon, le Maréchal a parcouru Pékin. Rien ne peut donner une idée du pittoresque de cette cité balayée par le vent mongol, de cet étonnant mélange de lèpre, de vermine, d’ordures, de délabrement, de ruines, de richesses et de splendeurs incroyables : on croit entrer dans un monde nouveau et paradoxal. Au milieu de cette ville immense comme Paris, l’automobile du Maréchal circule sans que quiconque y fasse attention. Alors le spectacle prodigieux de la rue se déroule devant lui. Des rues poudreuses, pleines de fondrières, semées de terrains vagues ; de profondes ornières dans les trottoirs ; un aspect général de campement, et soudain la silhouette aperçue d’un palais ou d’un temple ; des rues qui grouillent d’une humanité vieillotte et enfantine : des coolies ruisselants de sueur, traînant dans leurs pousse-pousses de gros Chinois à lunettes, des élégantes au visage comme nacré sous les fards, des mandchoues à la coiffure compliquée surmontée d’une sorte de large éventail déployé ; — d’autres coolies nu-jambes portant sur l’épaule, comme le long