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hôte pour se rendre à la mission catholique française et y visiter Mgr Blois et ses Pères : on parle du célèbre touchoun, qui a toujours témoigné aux religieux et religieuses françaises une grande reconnaissance depuis qu’il a trouvé chez eux asile aux jours sombres de son aventureuse carrière : à l’heure qu’il est, il fait encore tout son possible pour leur rendre service.

Le dîner devait encore dépasser le déjeuner en fantaisie ; il était théoriquement offert par le Gouverneur civil, mais présidé en fait par Tchang-Tso-Ling. Dans une grande salle banale, autour d’une gigantesque table où la moitié des places restent vides, toute une collection étrange de Chinois en uniforme ou en habit, tous fort gênés d’avoir à se servir de fourchettes plutôt que de leurs habituelles baguettes : aucun ordre de préséance ; chacun s’asseoit où il veut, au petit bonheur ; le menu ressemble à celui du déjeuner ; des gens se lèvent à tout moment de table, sortent, reviennent ; d’autres disparaissent pour ne plus reparaître ; les mets arrivent pêle-mêle ; au milieu de ce désordre, deux ou trois discours ; et puis brusquement, sans avis, au plein milieu du repas, tout le monde part !

L’heure du départ du train approche en effet et l’on se précipite à toute vitesse vers la gare ; Tchang-Tso-Ling a dû prendre au dernier moment la décision d’accompagner son hôte jusqu’à son wagon, car les rues sont pleines de monde : cependant, par précaution, son automobile blindé avec sa mitrailleuse et ses soldats armés sur les marchepieds est encadré par deux autres voitures chargées d’autres soldats ; le cortège fend la foule à toute allure ; d’ailleurs Tchang-Tso-Ling ne s’attarde pas et s’évanouit dans la nuit sans qu’on sache comment.

Enfin le train s’ébranle ; c’est un train spécial que le gouvernement de Pékin a envoyé jusqu’à Moukden ; le wagon du Maréchal est celui même de l’ancien Empereur, et celui des officiers de sa suite, l’ancien wagon des Eunuques de la Cour !


II. — PÉKIN
26 février.

Un grand soleil joyeux pour cette première journée. Du vaste hôtel moderne où est logée la mission française, on aperçoit le mur des Légations, ses meurtrières et ses bastions, au delà du glacis. Il est midi ; le Maréchal, accompagné de M. de Fleuriau, notre ministre en Chine, va rendre visite au Prési-