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de forme, à bords plats, en sparterie, fumant de longues pipes minces, l’air absent.

De Fusan à Séoul, dix heures de chemin de fer. La voie court à travers de larges vallées toutes tapissées d’une herbe rase d’un jaune si chaud, qu’elles rappellent, avec l’éloignement des montagnes, le chevauchement de leurs lignes, les paysages des vieilles laques d’or de Kyoto. Ici cependant moins de grâce et de pittoresque, mais plus de grandeur austère et de simplicité : pas d’arbres, des lits de torrents desséchés, un sol nu et souvent écorché de rochers ; nulle trace du travail de l’homme, sauf le damier des rizières dans le fond des vallées, et de loin en loin, les villages coréens, semblables à ceux du Sénégal, écrasés sous leurs lourds toits de chaume sans cheminées qui les font ressembler à des carapaces de tortues serrées les unes contre les autres. Pour animer parfois ces solitudes, passent de blancs Coréens traînant sur leur dos, à l’aide de crochets primitifs, des charges d’un volume quadruple du leur ; et aussi des femmes pareilles à d’énormes tas de linge sale, portant sur leur tête d’invraisemblables fardeaux.

Et sur ces larges paysages monochromes de vieil or, la pureté sèche du ciel et de l’air : tandis qu’au Japon, toute chose baigne dans une brume transparente qui lui donne un aspect aérien, ici les plus lointains horizons gardent une précision qui les rapproche.


Séoul, 21 février.

Aux amateurs de pittoresque Séoul apporte tout d’abord une désillusion : de larges boulevards rectilignes, perpendiculaires les uns aux autres, bordés de boutiques basses et parcourus de tramways électriques ; çà et là, dans une sorte de désordre, d’orgueilleux bâtiments modernes : la poste, des écoles, des banques, des hôtels ; dans le ciel, l’inextricable réseau des câbles aériens de toutes les villes japonaises ; par endroits, les vestiges de quelque massive porte chinoise ou de pans de murs en gros blocs de granit, abattus pour permettre la percée d’un boulevard : en somme, toute l’ossature de la ville moderne que les Japonais rêvent de construire ici. Il faut s’élever sur l’une des hauteurs de la ville pour contempler l’aspect encore farouche des faubourgs étalés jusqu’aux collines pierreuses qu’escaladent les fameuses murailles.