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notion, introduite dans la science par Newton, de la masse des corps, qui en mesure l’inertie. Si, dans notre exemple, la locomotive produit une accélération deux fois plus petite la seconde fois, cela s’exprime en disant que la masse des dix wagons est double de celle des cinq premiers. Supposons qu’il ne s’agisse plus de wagons identiques, mais de plateformes chargées de marchandises très différentes et très inégalement lourdes. Si on trouve que l’accélération produite par la locomotive est la même pour trois wagons chargés de blé et pour un seul wagon chargé de lingots, on dira que ceux-là ont au total la même masse que celui-ci. Autrement dit, et en un mot, les masses des corps sont des données conventionnelles définies par ce fait qu’elles sont proportionnelles aux accélérations produites par une même force. Autrement dit encore, la masse d’un corps est le quotient de la force qui agit sur lui par l’accélération qu’il lui imprime. Poincaré disait pittoresquement : Les masses sont des coefficients qu’il est commode d’introduire dans les calculs !

S’il est une propriété des objets qui tombe sous le sens, sous les sens, dont chaque homme ait en quelque sorte l’instinct, l’intuition, c’est bien celle de la masse des corps. Eh bien ! une analyse un peu aiguë nous montre notre impuissance à définir cette chose autrement que par des conventions déguisées. La définition poincariste semble paradoxale dans son aveu d’impuissance. Elle est juste pourtant. La masse n’est qu’un « coefficient, » qu’une création conventionnelle de notre infirmité !

Pourtant quelque chose nous restait où nous pensions pouvoir accrocher, sinon notre besoin de certitude, — il y a longtemps que les savants dignes de ce nom ont renoncé à la certitude ! — du moins notre besoin de netteté dans la déduction, dans le classement des phénomènes. On croyait constante la masse, on croyait constant le coefficient si commode et si bien défini.

Ici aussi, il faut déchanter, hélas ! — ou plutôt tant mieux, — puisque rien n’égale après tout le plaisir de la nouveauté.

L’ancienne mécanique nous enseignait que la masse est constante pour un même corps, indépendante par conséquent de la vitesse que ce corps a déjà acquise. D’où il suivait, comme nous l’expliquions plus haut, que, si une force continue à agir, la vitesse acquise au bout d’une seconde sera doublée au bout de deux secondes, triplée au bout de trois et ainsi de suite jusqu’au-delà de toute limite.