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Et chacune me parle, et chacune en tombant
Prend le visage ou l’ombre ou la voix d’une absente ;
Chaque lumière est comme une âme éblouissante
Qui rayonne parmi les pierres du Liban.

Ah ! Byblos dort, Sidon croule dans l’ombre antique
Sous la grève d’Asie où nous nous endormons,
Et la haute forêt, qui drapait les grands monts,
Ne frémit plus qu’à l’ombre ardente du Cantique.

Le vent brûlant de Tyr qui portait vers le Nord
Les chants phéniciens aux déesses propices,
Les rumeurs des vaisseaux et l’odeur-des épices,
Traîne, fétide et mou, sur un village mort.

Nous ne connaissons plus les voix et les prunelles,
Mais au-dessus du temps, de l’ombre et du destin,
Descend jusqu’à nos jours, — si proche, et si lointain ! —
Le chant mystérieux des âmes éternelles.


L’OMBRE DE RÉBECCA


… Et voici que sortit, sa cruche sut l’épaule, Rébecca.
Mes sœurs qui descendez vers la fontaine close,
Soutenant sur vos fronts l’amphore de grès rose
De vos bras purs, cerclés d’un bracelet d’argent !
Mes sœurs qui vous suivez au fond du soir changeant !
Mes sœurs qui remontez, lentes, l’une après l’une,
Vers le village blanc, dans la montagne brune,
Lorsque la nuit commence, et rend presque irréel
Le rythme de vos corps, élancés vers le ciel !
— Longs chapelets vivants aux doigts du crépuscule ! —
Vous qui longez les oueds où la lumière ondule,
Écrasant sous vos pieds la menthe et les iris,
Et qui vous souriez dans l’eau des oasis !
Femmes d’Egypte en deuil, sous le ciel qui s’étoile,
Vous dont les larges yeux, entre l’ombre du voile,
S’ouvrent comme hantés d’un étrange sommeil,