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laissa son ouvrage, qui était écrit sur des formules télégraphiques. On commença à répéter, mais l’auteur ne paraissait plus. Le concierge lui avait refusé la porte, comme à un vagabond. On décida de lui remettre une avance sur ses droits d’auteur, et il s’acheta des vêtements.

Le succès de la pièce fut triomphal, et ce triomphe fut mérité. Le premier acte de M’hijo el Dotor est sobre, plein, solide et pathétique. La pièce met en scène une des façons dont meurt le vieux type gaucho, l’émigration des fils de la ville où ils veulent devenir docteurs, entendez avocats, médecins, architectes. Dans une vieille estancia de type colonial (la maison basse, blanche, rustique, entourée d’une véranda), vit le vieux gaucho, don Olegario, avec sa femme Mariquita. Leur fils, Julio, qui est élevé à la ville et qui suit les cours de l’Université, est venu passer quelques jours à l’estancia. C’est le matin, et Julio dort encore. Il faut voir avec quelle colère la vieille Mariquita fait taire le petit domestique indien, dont la voix perçante va réveiller « mon fils le docteur. » Mais don Olegario voit avec mécontentement les nouvelles mœurs. Son fils ne lui paraît ni assez respectueux, ni assez soumis. Il s’irrite de le voir dépensier. Cet Olegario a du caractère de nos vieux paysans, et on croirait par moments lire une pièce écrite pour le Théâtre-Libre. Julio a fait des dettes à la ville, Julio courtise la petite Jésusa. Il n’est pas convaincu que tout cela soit très grave, et il essaie d’expliquer à son père comme il est mieux de remplacer le respect par l’affection, et de l’appeler « vieux » au lieu de lui demander sa bénédiction. Le père se contient, puis tout à coup éclate. Le despote reparait, le chef de famille absolu. Il crie à son fils : « A genoux ! » et, d’un coup de manche de fouet, il l’assomme à moitié. Naturellement le fils quitte la maison, et le père meurt de chagrin.

Non seulement le paysan gaucho est abandonné par ses enfants, qui veulent vivre à la ville, mais il est peu à peu évincé par l’étranger. C’est le sujet d’une autre pièce de Sanchez, la Gringa (l’étrangère et plus spécialement l’Italienne), qui a été représentée en 1904. Au gaucho à la vieille mode s’oppose l’Italien laborieux, économe, qui lui prête de l’argent, et qui finit par le remplacer sur son domaine. Le fils du gaucho s’éprend de la fille de l’étranger. La maison nouvelle s’élève, et l’homme d’autrefois a le bras rompu par un automobile, symbole des