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anciens souverains. La position de Liniers devient très difficile. Le gouvernement espagnol qui menait la lutte contre Napoléon le destitua et le remplaça, en 1800, par Cisneros. Les Montevidéens s’étaient, dès 1808, séparés de lui, et avaient créé un conseil de gouvernement autonome, présidé par un colonel espagnol, Xavier de Elio.

En mai 1810, une frégate anglaise apporta à Buenos-Aires la nouvelle que Napoléon était le maître de toute l’Espagne. La colonie de la Plata, qui supportait impatiemment l’autorité de la métropole, en profita pour renverser Cisneros et pour proclamer son indépendance le 25 mai 1810, à Buenos-Aires. Mais, sur l’autre rive du Rio, le gouverneur de Montevideo resta fidèle à l’Espagne.

Il y avait dans ses troupes un officier, créole d’origine, qui avait fait ses premières armes contre les matreros et qui se nommait José Gervasio Artigas. À la suite d’une altercation avec un de ses chefs, il quitta le parti espagnol et courut à Buenos-Aires se mettre au service des insurgés. C’était en février 1811. En même temps, la bande orientale, c’est-à-dire l’Uruguay actuel, se soulevait à la voix de deux paysans, Viera et Bonavidez. Artigas, repassant le Rio, revenait se mettre à la tête des insurgés, le 9 avril.

Artigas a donc été le premier chef des Orientaux (c’est le nom officiel des Uruguayens) ; il est resté aussi le héros national. Si l’on en parle ici, ce n’est pas pour raconter un chapitre d’histoire, quoique cette histoire soit assez inconnue eh France, mais parce qu’il est resté vivant dans les mémoires. Il est comme la figure héroïsée du gaucho. Le président actuel de la République orientale, le docteur Brum, m’ayant fait l’honneur de me recevoir, m’a d’abord parlé d’Artigas, et pour me mettre en garde contre les historiens, m’a rappelé la préface de M. Anatole France au volume sur Les Sept femmes de Barbe-Bleue, où le romancier français doute de l’histoire de Néron, écrite par ses adversaires politiques.

Artigas, avec son armée de gauchos, rencontra les troupes espagnoles à quelques lieues de Montevideo, à Las Piedras, et les battit. Elio essaya de le débaucher en lui offrant le titre de général et de l’argent. Artigas refusa. Elio, ne sachant plus que faire, appela à son secours les voisins du Nord, les Portugais du Brésil, enchantés d’intervenir dans les affaires d’un pays