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l’univers entier se sont donné rendez-vous dans ce coin de terre. Sur une pente escarpée, les sapins des latitudes boréales étendent le manteau traînant de leurs branches ; mais entre eux le dracena du Brésil élève son bouquet de feuilles couleur de lie de vin. Les chevaux remontent maintenant de pierre en pierre le lit d’un torrent, et nous écartons de la main de grands bouquets frissonnants de bambous. Nous voici dans d’interminables allées de pins, et chacun porte comme une ceinture une orchidée aux larges feuilles vert pâle. Nous débouchons dans des clairières à la Courbet, dont le fond est un étang ; des peupliers élèvent au bord des eaux leurs fuseaux gris et nus, tandis que le cadre de la forêt est formé par des eucalyptus de trente à quarante mètres. De grands cyprès en fleurs mêlent à la verdure leur jaune sombre et doux, et par places des acacias sont comme un bouquet d’or pâle éblouissant. Le paysage change sans cesse. Ici, nous sommes perdus au plus profond des futaies. Là, sur d’âpres rochers, nous voyons par-dessus les cimes des arbres la mer laiteuse et un cap. Les chevaux descendent la pente raide d’une dune. Nous nous coulons dans cet océan de verdure. Nous nous couchons sur l’encolure pour passer sous un mimosa en fleurs et nous nous relevons couverts de poudre d’or. Sous les arbres, les géraniums échevelés font de grands buissons. Il faut appuyer la bouche des chevaux pour qu’ils ne glissent pas dans ces à-pics. Et tout à coup nous arrivons sur une plage unie, immense. Nous poussons jusqu’au bord des vagues. De grandes falaises nous encadrent de leurs murs. La roche rouge est percée de grottes. Une source d’eau douce a filtré dans les cassures du porphyre, et remplit une vasque naturelle. Paysages de féerie, où l’on se croit tour à tour en Italie, en Norvège, à Ceylan, ou sur les plus sauvages promontoires de la Bretagne. J’ai fait soixante-dix kilomètres sous ces arbres, et je n’ai vu qu’une petite partie de la forêt ; j’aurais pu en parcourir cinq ou six fois davantage.

Que ne peut l’exemple ? Toute la côte autour de Punta Ballenas commence à se couvrir d’arbres. La propriété est située entre deux stations de bains de mer, Piriapolis d’un côté, Punta del Este de l’autre. Piriapolis est déjà une forêt de pins. Punta del Este est encore nu. Chacune des deux villes se dit la plus agréable pendant les chaleurs. Les partisans de Punta del Este prétendent que les arbres retiennent l’air chaud, et qu’en les