Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/882

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1824, que tout ce qu’on a pu vous dire de cette Mme H… est faux ; et vous pouvez être aussi sûre que je ne la reverrai de ma vie. » Rapprochons ces lignes d’un passage du Journal du maréchal de Castellane qui, très bien renseigné évidemment, nous apprend que « sous son ministère, Chateaubriand écrivait tous les matins à Mme Hamelin sur les affaires politiques. » Uniquement sur « les affaires politiques ? » Nous n’avons pas les lettres de René à Mme Hamelin en 1823-1824 ; mais nous en avons une, datée du 11 décembre 1844, et qui est suffisamment explicite : « Aimez-moi toujours, lui disait-il, — il a soixante-seize ans, — comme quand vous veniez me chercher aux Affaires Etrangères. » Et concluons que le ministre de Sa Majesté le Roi Très Chrétien multipliait les « divertissements[1]. »

Concluons aussi qu’en 1823, malgré ses cinquante-cinq ans, Chateaubriand n’avait point désarmé et qu’il était assez loin de se considérer comme un vieillard. Comme d’autre part Mme de C… n’était ni une jeune fille, ni même une toute jeune femme, il suit de là, semble-t-il, que la confession délirante, si elle est l’écho fidèle de l’exacte réalité, ne saurait se rapporter à l’aventure de 1823. Tel était l’avis de Faguet ; et il paraît bien difficile de ne pas lui donner raison.

Regardons-y d’un peu plus près cependant. Il y a, dans les œuvres complètes de Chateaubriand, une pièce de vers intitulée A Lydie, « imitation d’Alcée, poète grec, » et datée, soi-disant, de Londres, 1797. Or, cette pièce figure, datée, de la main même de la destinataire, du 22 septembre 1823, parmi les lettres à Mme de C… Chateaubriand, en l’antidatant pour l’édition de 1828, a supprimé deux ou trois strophes un peu vives et corrigé ou atténué un certain nombre de vers. La pièce originale est intitulé A Délie. On y lit :

Au matin de tes ans, et du monde chérie,
Tout est pour toi, joie, espérance, amour :
Et moi, vieux voyageur, sur ta route fleurie
Je marche seul et vois finir le jour.

Irais-je, me flattant dans mes tendres folies,
Quand tout me fuit, que tu me resteras ?
Vénus échappe aux mains par le temps affaiblies,
Pour l’enchaîner, il faut de jeunes bras.

  1. Voyez le livre de M. André Gayot, Une ancienne muscadine : Fortunée Hamelin, Paris, Émile-Paul, 1911, in-8.