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famille, » nous dit Vogué, elle vivait presque toujours seule dans un château du Vivarais. Elle était fort jolie, — Vogué va jusqu’à préférer son portrait à ceux de Mme Récamier, — elle avait, avec un peu de candeur, une extrême distinction d’esprit et de cœur. Comme tant d’autres de ses contemporaines, elle avait adoré Chateaubriand à travers ses livres. « Le style de M. de Chateaubriand, disait Mme de Beaumont, me fait éprouver une sorte de frémissement d’amour ; il joue du clavecin sur toutes mes fibres. » — « En vous lisant, disait presque pareillement Mme de Vichet, on éprouve une admiration passionnée qui vous détourne de tout, et l’âme s’abreuve d’une sorte de tendresse vague qui ne trouve rien digne d’elle et ne sait où s’attacher. » En 1816, des relations avaient failli se nouer entre eux, à Paris : par timidité, scrupule, Mme de Vichet les laissa tomber.

En 1827, l’annonce d’une indisposition de Chateaubriand la mit dans un tel émoi, qu’elle se décida à écrire au grand homme : celui-ci répondit avec le charme souverain dont il était coutumier dans ses lettres, surtout dans ses lettres à des femmes. Et une correspondance s’engagea entre eux, qui dura près de deux années. La spirituelle et sentimentale marquise, moins, ce semble, par amour-propre littéraire que par piété, avait gardé des copies de toutes ses lettres et les avait jointes à celles de René : de sorte qu’aucune des nuances de ce dialogue épistolaire ne nous échappe. Manifestement très honnête, mais aussi passionnée qu’honnête, Mme de Vichet s’efforce, sans y bien parvenir, de contenir dans les bornes d’une affection purement « fraternelle » « l’attachement » qu’elle éprouve pour l’auteur d’Atala : elle l’appelle « mon cher maître, » et quelquefois « mon maître chéri, » « mon frère choisi et donné ; » elle écrit : « Adieu, mon cher maître, mon étoile toujours belle, toujours chérie, laissez-moi vous assurer de mon respect ; vous ne savez pas combien ce mot est tendre, quand je vous l’adresse. » Mais il est visible qu’elle aime d’amour. Elle signe « Marie ; » elle n’insiste pas sur son mari et sur son fils ; sans vouloir tromper son « maître trop aimé, » et même en essayant de lui faire entendre la vérité, elle laisse planer sur son âge un doute complaisant ; la crainte de provoquer une douloureuse désillusion entre évidemment pour beaucoup dans le peu d’empressement qu’elle met à se rendre à Paris, pour y voir Chateaubriand, qui, lui, souhaite