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Hélas ! cette suite ingénieuse de mouvements ne put se faire que pendant deux jours : le troisième jour, le Col de Sestrières fut obstrué par la neige ! Il n’y avait plus qu’une route pour gagner Pignerol !

Il fut donc décidé que tout le monde passerait par Oulx, Exiles, Suse. Il y eut une entente immédiate avec la Régulatrice des chemins de fer de Modane (commandant Gérard) pour qu’une partie des wagons passant par le tunnel Modane-Bardonnèche arrivassent vides à Suse : les artilleurs y étaient embarqués. Puis, par la suite, ce furent des trains italiens qui, au lieu d’aller prendre l’artillerie française à Pignerol, allèrent la prendre à Suse.

Tous ces transports, dont la bonne exécution était de la plus haute importance pour la concentration des troupes alliées dans la Lombardie, durèrent une quinzaine de jours. Il passa, par le Mont Genèvre, la valeur de 76 trains.

Après quoi, on laissa une section à Briançon, pour parer à tous besoins ; la C. R. A. fut maintenue avec la charge d’entretenir la voie libre : et tous les camions quittèrent la France, définitivement, pour gagner, par Pignerol, Turin, Verceil et Milan, la région de Vérone et Vicence[1].


Est-il utile de décrire maintenant cette navette des convois dans la neigea près de 2 000 mètres d’altitude ? Nous laisserons plutôt au lecteur le soin d’imaginer les montées périlleuses et lentes, les descentes plus périlleuses encore, entre deux talus de glace, que les travailleurs de la route n’arrivaient qu’au prix des plus grandes difficultés à écarter assez l’un de l’autre.

En fait, il n’y eut pas d’accident grave : quelques tués, surplus de 50 000 hommes qui passèrent. Pour les chevaux les pertes furent insignifiantes. Quant aux camions, on n’en laissa pas un seul. Il y eut des culbutes fameuses : une, entre autres, d’une « remorque-cuisine » qui, lâchant tout à coup son

  1. Le retour de ces sections devait se faire en avril 1918, quand l’armée française d’Italie fut rappelée pour faire face aux offensives allemandes du printemps. (21 mars, etc). Il fut très difficile, à cause des avalanches, et certaines sections furent immobilisées plusieurs jours à Césanne. Pendant tout l’hiver, on s’astreignit à maintenir le col praticable et un télégramme journalier, adressé à la D. S. A. (à Compiègne), rendait compte de la possibilité de passage. On voit que cette précaution, à première vue excessive, eut sa justification par les faits.