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le roi des Lombards Àstolf, passant, lui aussi, par le Mont Cenis, en l’an 754. On y verrait Charlemagne, l’Empereur à la barbe fleurie, à pied, à la tête de ses guerriers, cherchant en vain les chemins frayés par ses prédécesseurs. Puis ce serait l’étincelant et classique défilé des héros des guerres de la Renaissance : le « frétillant » Charles VIII, avec ses 150 gros canons, « gaillarde compagnie, mais de peu d’obéissance[1], » qu’il put faire passer, par chance, au sommet du Mont Genèvre ; Bayard et Louis XII ; le bouillonnant et impétueux François Ier s’engageant, pour tromper les Suisses ; vers le col de l’Argentière, jetant des ponts sur les abîmes, faisant sauter les roches, pour ouvrir un passage à ses 72 pièces d’artillerie et traversant le Piémont, avec 35 000 combattants, pour aller gagner Marignan. Ce serait encore Louis XIII avec Richelieu, menant 35 000 gens d’armes au secours du duc de Nevers ; les armées de Villars avec le vieux maréchal âgé de quatre-vingts ans ; Bonaparte, enfin, sur son mulet, gravissant les sentes en lacets du Saint-Bernard à la tête de toute une armée silencieuse ; puis, plus près de nous, les cinq corps de Napoléon III appelés à l’aide par leurs frères italiens. Il est à remarquer que, sauf celui d’Annibal, tous ces passages se sont faits pendant la saison d’été.

Or, de nos jours, pour franchir la chaîne des Alpes, les grandes routes ne sont guère plus nombreuses que jadis. Ce sont : dans la zone Sud, celle des Alpes-Maritimes et (en dehors de la Corniche qui longe la mer), une route stratégique passant par le col de Tende (1 873 mètres) ; dans les Alpes Cottiennes, le col de Larche (ou de l’Argentière ou de la Madeleine) (1 995 mètres) et le col du Mont Genèvre (1 860 mètres) qualifié par tous les guides « le passage le plus facile des Alpes franco-italiennes[2] ; » dans la zone Nord, celle des Alpes Grées (en exceptant les cols muletiers, inutilisables dans la circonstance), le col du Mont Cenis (2 090 mètres) et le col du Petit Saint-Bernard (2 190 mètres). — Il ne pouvait être question, naturellement, du Grand Saint-Bernard, qu’on ne peut gagner que par les routes suisses et qui, au surplus, n’est pas aménagé convenablement sur le versant italien.

  1. Comines.
  2. Mais, pour gagner le Mont Genèvre, il faut, préalablement, franchir le col du Lautaret.