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pour le premier volume de l’Industrie, la partie politique.

Avec une ardeur et des illusions toutes juvéniles, — n’oublions pas qu’il n’a pas vingt-deux ans, — Thierry attaque la guerre et l’esprit de conquête. Un peuple grandit par le travail, l’économie, la liberté. L’industrie déteste la guerre, à moins qu’on ne vienne l’attaquer. Dans ce cas, elle se défend vigoureusement, comme elle l’a fait en France, contre les alliés de Pilnitz, en Europe contre les brigands de Bonaparte. Aujourd’hui, les combats sont finis : « Vos armes, s’écrie le jeune publiciste, dans une vibrante péroraison, ce sont les arts et le commerce ; vos victoires, ce sont leurs progrès ; votre patriotisme, c’est la bienveillance et non la haine. Voulez-vous joindre à ces vertus douces les vertus fortes et mâles auxquelles le Lacédémonien se formait en combattant ? O citoyens ! vous avez des ennemis plus acharnés que les Perses, l’ignorance et ceux qu’elle fait vivre. »

Quelle chimère est-ce donc que l’homme ?… Condorcet dénonce la guerre impossible à l’instant qu’apparaît Bonaparte. Hélas ! le monde n’a pas accepté le rêve saint-simonien. L’ère des luttes de nations n’est pas close…


IV — LA RUPTURE AVEC SAINT-SIMON

L’écrit des apôtres de la paix fut bien accueilli par l’opinion et le Censeur les porta aux nues ; mais, dans l’instant qu’ils prêchaient la concorde universelle, de graves dissentiments éclataient entre eux.

Quelles furent les raisons précises de cette brouille ?… On a incriminé le caractère impérieux de Saint-Simon. Ses collaborateurs devaient plier à ses exigences, abdiquer entre ses mains leur personnalité. On ne domestique pas les intelligences libres. Il arriva d’Augustin Thierry, ce qu’il advint également d’Auguste Comte. L’heure sonna où tous deux refusèrent de subir plus longtemps une volonté tyrannique.

— Je ne conçois pas d’association sans le gouvernement de quelqu’un, se serait un jour écrié Saint-Simon.

— Et moi, répondit Thierry, je ne conçois pas d’association sans liberté.

Quoi qu’il en soit de cette anecdote, c’est dans l’inconciliable opposition des idées, bien mieux que dans les circonstances de